L'Effort pour rendre l'autre fou

C'est drôle comme à l'heure d'Internet il est encore possible de se laisser tenter par une histoire connue de la plupart sans en savoir quoi que ce soit. C'est agréable aussi de se dire qu'il y a toujours des surprises à vivre, surtout lorsqu'on a en nous la fausse impression d'avoir écumé tout le cinéma grand public. Parce qu'il n'y a pas à tergiverser, The Game est un incontournable pour qui aime avoir bien en place son cerveau à l'intérieur du crâne, pour qui apprécie les œuvres dont la plus grande des substances est de jouer sur la surprise, sur le jeu.


Comme je ne suis guère le dernier de ces contradictoires zélateurs à révéler sans prévenir, je laisse ceux qui comme moi, hier encore, connaissent de nom l'œuvre mais ne l'ont jamais vu, sortir de la pièce pour y revenir une fois le visionnage imprégné directement dans l'épiderme.


Parlons dont de The Game que met magistralement en scène un David Fincher tout aussi joueur avec le spectateur qu'avec ce pantin de Douglas.


Déjà, bref rappel pour tous ; de quoi on cause ici ? On parle d'un type, Nicholas Van Orton, qu'on nous développe en préambule comme un homme d'affaires retors à la verve acide. Devenu plus mature que de raison lorsqu'il n'était encore qu'un enfant, notre héros fait partie de ceux ayant dû bien malgré eux endosser le rôle de chef de famille après la soudaine mort d'un père. Si ce genre d'événement à de quoi durcir le cœur du plus aimant humain, il en a ici asséché celui de Nicholas. Alors qu'il atteint tout juste les 48 ans, âge du décès du paternel, notre homme reçoit de la part de son frère cadet un présent des plus mystérieux : une carte donnant accès à un programme spécial ; celui de la Consumer Recreation Services (CRS). L'idée est simple comme étrange ; vivre une expérience personnalisée, un jeu de rôle dont le joueur ne saura rien de plus que le contexte lui étant infligé. Si le désir nait de la frustration, celui de notre homme va peu à peu se construire autour d'un mystère total, l'amenant à surmonter des épreuves dépassant l'entendement.


Ce film est dingue. Il est dingue du fait de son exceptionnelle capacité à faire émerger dans la tête de chacun le doute. Alors que les événements s'enchaînent, baladant Nicholas au gré d'une confusion toute naturelle, le doute survient de savoir si le jeu est bien réel ou s'il va s'agir d'une gigantesque machination afin de lui soutirer des millions. Entre jeu bordélique et arnaque suprême aux allures de crime parfait, il faudra attendre/atteindre la fin du récit pour être délivré de cette grande incertitude. Au fond, on ne peut que saluer le film de faire à ce point gamberger le spectateur, lui qui est emmené sans préparation aucune dans le questionnement permanent et la paranoïa la plus suspicieuse.


Vous qui avez vu cette fin, vous savez de quoi il retourne. Le jeu était bien réel, aussi incroyable que cela puisse paraître. Et pourtant il aurait pu ne pas l'être que cela ne change pas grand chose à l'intérêt à trouver dans le film. À la limite, il aurait peut être été plus marquant de ne pas savoir du tout, nous lâchant sans aucune réponse dans le marasme d'idées chamboulées. Chacun aurait pu y aller de son interprétation personnelle et aurait pu se permettre de disséquer plan par plan l'histoire en quête d'une résolution au mystère. Car, même si The Game est vraiment passionnant et bien foutu on ne peut pas dire qu'il s'agit là d'un métrage qu'on irait régulièrement revoir. C'est le lot des films à twist comme le Village, 6e sens et j'en passe et des meilleurs dans le genre.


Mais pourtant, quelle ambiance ! Fincher parvient à transmettre davantage que beaucoup d'autres avant et après lui. Il y a d'abord cette vie froide de bureaucrate avec ces murs sombres qu'une lumière ne peut éblouir. Il y a cette gigantesque et ancienne demeure qu'on voit se dégrader au fil du mystère. Il y a cette relation fraternelle immanquablement teintée par le fantôme du père, cette amourette aux airs de thriller crasseux, allant toujours plus loin au fond du fond d'une affaire rocambolesque. Et tant d'autres choses encore...


L'expérience est là, toute puissante sans pourtant se départir de quelques incohérences maladroitement expliquées par le fait que ce jeu était mûrement calculé, mais là. Elle mérite toute notre attention, ne serait-ce que durant deux bonnes heures où le doute sait nous habiter.

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le 21 mars 2018

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Fosca

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