Deux ans après le succès critique inattendu de Tangerine, entièrement réalisé à l’aide d’un iPhone 5, le cinéaste américain Sean Baker remplace la Californie par la Floride pour son sixième long-métrage : The Florida Project suit le quotidien d’un groupe de gamins et de leur entourage dans un motel précaire rose-bonbon des banlieues pauvres de Disney World. Le « Florida Project », c’était à l’origine le nom que Walt Disney donnait à son projet de parc d’attractions ; c’est ce dernier qui est d’ailleurs le véritable personnage principal du film de Sean Baker, alors qu’il n’y apparaît (presque) pas.


Tout commence un peu comme un La Guerre des Boutons façon white trash. C’est presque comme si Larry Clark avait décidé de situer son remake du classique d’Yves Robert dans les décors d’une zone commerciale flashy que n’aurait pas renié Wes Anderson. The Florida Project n’a cependant ni la sensualité crasseuse d’un Clark, ni l’esthétisme systématique et absurde d’un Anderson, ni la bonhomie d’un Robert. Tantôt drôle et tantôt bouleversant ; tantôt électrique et tantôt poétique ; tantôt enfantin et tantôt drame social ; tantôt durement réaliste et tantôt fantastique, Baker croise les styles et livre autant une œuvre plurielle, follement créative et surtout profondément attachante.
Ses personnages débordent d’une humanité toute particulière. Leurs imperfections et leurs comportements dangereux (à la limite du repoussant, comme cette mère immature ou cette gamine espiègle au langage de charretier) leurs donnent une volupté incroyable, faisant d’eux des matériaux de cinéma passionnants, profonds et captivants. Ils sont les héros de cette fable anarchique, où les princesses Disney paient leur loyer en vendant des parfums contrefaits, où le Royaume Enchanté ressemble à une gigantesque aire d’autoroute et où le Saint Graal est un cornet de glace acheté en faisant la manche auprès des touristes. Malgré son univers visuel aux couleurs saturées, The Florida Project est une histoire de contraste, celui qu’il y a entre le château de la Belle au bois dormant et son ombre terrassante, entre le rêve américain et son dérèglement total, à travers la dure réalité d’un monde qui vous a laissé sur le bord de la route.


Toute l’intelligence de The Florida Project, c’est d’éviter tout jugement, qu’il s’agisse de ses personnages ou de ses spectateurs. Si on est bien dans le mélodrame, le film de Baker est bien plus que cela : c’est une ode à la marginalité, c’est une ultime lamentation face à des rêves inatteignables, c’est un cri de douleur d’une dignité et d’une fierté sans égal, mais c’est surtout un somptueux long-métrage, décadent et lumineux, qui nous amuse pendant une heure et demie avant de nous déchirer le cœur en deux. Si simple, et pourtant si monumental.

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le 1 janv. 2018

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Vivienn

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