Le collectif Astron-6 est une bande de joyeux drilles canadiens qui ne fait pas dans la dentelle, leur activité principale devrait mettre l'eau à la bouche à tous les amateurs de vieilles VHS poussiéreuses et autres films de zombie du 3ème Reich, en effet, ce petit studio indépendant s'est spécialisé dans la production à très petit budget de films-hommages à la production de Série B des années 70 et 80, principalement connu pour deux films sortis en 2011, Father's Day, un Thriller horrifique faisant furieusement penser aux Vigilante movies de Charles Bronson, et Manborg, une sorte de pastiche de science-fiction sur une histoire de vampires-nazis enrobée dans un emballage de film d'exploitation, de vrais petits plaisirs coupables aux influences Grindhouse qui nous donneraient presque envie de ressortir le vieux projecteur super 8 de grand-papa pour se faire une séance à l'ancienne. Adam Brooks et sa bande ont développé une tonalité bien distincte, et une signature qui leur est propre, souvent placée quelque part entre la parodie et l'hommage. On a clairement affaire à des gens qui aiment leurs productions, et qui aiment en rire surtout. Le rire et l'horreur, ce sont certainement les deux termes qui définissent le mieux l'esprit qui habite ce studio.


Maintenant, allons jeter un coup d’œil du côté de l'année 2014 pour parler du film qui nous intéresse, The Editor, certainement leur projet le plus ambitieux à ce jour, qui passe cette fois le genre du Giallo en revue. L'alchimie entre le travail du studio et le genre du thriller à l'italienne donne un cocktail presque parfait, les gialli sont généralement des films magnifiques stylistiquement, et les gars de chez Astron maîtrisent clairement leur sujet sur ce point précis.


Il est à signaler que la production de ce film a pu bénéficier d'un budget 10 fois supérieur à toutes les œuvres précédentes du studio. Entretemps le père Lloyd Kaufman est passé par là avec sa boîte de prod Troma, permettant aux canadiens d'inclure des effets spéciaux grandioses et un casting composé de guests semi-célèbres, comme le vétéran Udo Kier, ou encore Paz de la Huerta de Boardwalk Empire.


Le casting, parlons-en, car il est d'une importance capitale comme pour tout bon film d'horreur qui se respecte, un des aspects les plus intéressants des films Astron, c'est que les membres du studio, en plus d'être réalisateurs, scénaristes et producteurs, sont également acteurs, ici, les co-réalisateurs endossent les rôles principaux avec une maestria assez étonnante, Adam Brooks joue Rey Cisco, un légendaire monteur de films, aujourd'hui oublié de tous, contraint de travailler sur des petites Série B sans envergure après avoir perdu une main lors d'une tragédie complètement loufoque, l'autre réalisateur, Matthew Kennedy, campe un détective au bout du rouleau, qui mène l'enquête sur une série de meurtres horribles reliés au dernier film de Rey Cisco...


En plus de leurs propres rôles, parfaitement interprétés, les cinéastes font preuve d'un talent certain pour la direction d'acteur, l'ensemble du casting démontre une étonnante maîtrise dans un exercice de satirisation de caractères, en parvenant à jouer les scènes les plus absurdes tout en gardant un visage parfaitement impassible. Paz de la Huerta, qui joue le rôle de la femme malheureuse de Rey, semble dans un premier temps mal exploitée, mais parvient tout de même à développer une présence discrète, en jouant sur un côté kitsch totalement inimitable. En ce qui concerne Udo Kier et Laurence R. Harvey, ils contribuent au métrage avec des rôles proches du caméo, mais néanmoins essentiels à l'intrigue. A noter enfin la présence d'un autre larron du studio en la personne de Conor Sweeney, qui participe également à l'écriture sur ce film.


Brooks et Kennedy livrent ici un film qui vit véritablement à travers une esthétique calquée sur les canons de l'époque qu'il raconte. A l'aide d'un éclairage stylisé et d'une composition des cadres strictement élaborée, ainsi qu'une conception des costumes et décors sortant tout droit d'une production de la fin des années 70, est-il besoin de préciser que tous ces éléments sont encore une fois l’œuvre des réalisateurs eux-mêmes? Car oui, Brooks et Kennedy sont également monteurs et directeurs de la photo sur ce film, la musique, quand à elle, est l’œuvre de Jeremy Gillespie, encore un membre d'Astron-6 (Décidément!), le bonhomme a même obtenu l'immense honneur de voir Claudio Simonetti écrire certains thèmes de ce film, quand on connaît l'importance du gonze dans le genre du Giallo, ce n'est pas rien, et son influence se fait massivement ressentir ici. Dans l'ensemble, le style des thrillers italiens est parfaitement respecté, ce qui est impressionnant pour un film dont le but premier est avant tout de parodier, de faire rire donc. Bien entendu, tout n'est pas parfait, des erreurs de montage quelque peu agaçantes ainsi que quelques scènes versant un peu trop dans le ridicule viennent parfois se glisser entre deux séquences géniales, mais la plus grande partie du métrage baigne dans un style suffisamment mesuré pour faire rire le public juste ce qu'il faut, les cinéastes ont réussi à trouver un certain équilibre entre l'hommage et la parodie, en insérant une pincée de gore nécessaire, mais surtout en écrivant une histoire et des personnages donnant réellement envie de s'investir dans leur délire.


Et ce simple état de fait constitue déjà un tour de force en soi, car monter un film pareil sur un genre aussi codifié, et réussir à rendre le tout accessible, même à un public profane qui ne comprendra pas les multiples références, n'est pas une performance anodine. Car en effet, tout le monde ne remarquera pas au premier coup d’œil les liens avec Lucio Fulci ou Dario Argento, voir même avec le Videodrome de Cronenberg, sans parler des morceaux de Claudio Simonetti, qui font directement référence à Goblin. Cependant, une simple compréhension de la grammaire basique des thrillers de l'époque devrait être suffisante pour en saisir la plupart des ressorts comiques. Et paradoxalement, au-delà du fait d'être une parodie, ce film est réellement un bon thriller, reposant sur une base scénaristique solide et respectant parfaitement les codes instaurés par ses aînés.


Il serait cependant malvenu de trop se focaliser sur une approche au premier degré, car il est bien clair que ce film est une comédie, et il doit être jugé comme tel. Que peut-on dire des aspects comiques de ce film? Tout d'abord, il est clair qu'on a affaire à un comique d'ambiance, le film baigne dans une sorte d'incongruité constante, et les lignes de dialogue elles-mêmes semblent sortir d'un mauvais doublage d'époque (chose qui se remarque autant visuellement qu'à l'oreille par ailleurs). Le jeu des acteurs est ridicule, mais dans le bon sens du terme, à savoir que tout est parfaitement maîtrisé, les rebondissements scénaristiques sont complètement fous et hilarants, même la misogynie de certains vieux films est volontairement exagérée et moquée. En bref, Brooks et Kennedy sont parfaitement au courant des différents ressorts qui rendent les films d'horreur italiens si singuliers et divertissants, et ont, en quelque sorte, trouvé le moyen de les remodeler à leur guise, à travers un film comique, respectant son matériau de base tout en le parodiant.


Petit par la taille, mais grand par le talent, voilà ce qui pourrait définir l'essence de ce film. The Editor se présente sous la forme d'un pastiche destiné aux amateurs de films d'horreur de la vieille école, loin de n'être toutefois qu'un simple film de niche, une œuvre qui pourrait parfaitement servir d'introduction au genre du Giallo pour un public de profane, mais surtout une œuvre imprégnée de l'esprit indépendant de ses créateurs et de leur sensibilité, ce qui en fait un parfait représentant du genre dont il est issu.

Schwitz
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le 5 nov. 2016

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