Il y a beaucoup de nanars que je préfère à The room, mais ce qui ne cesse de me captiver avec ce film, c’est tout ce qu’il y a autour, et surtout, le personnage improbable de son créateur, Tommy Wiseau.
J’avais adoré le bouquin qui narrait l’histoire de The room, et je craignais vraiment le pire lors de l’annonce d’une adaptation par James Franco. Il n’en est pas à son premier long-métrage, mais leurs moyennes avaient de quoi inquiéter sur ses talents de réalisateur, et le fait qu’il se caste, lui et son frère, dans les deux rôles principaux de The disaster artist qui n’ont aucun lien de parenté, sentait l’ego-trip à plein nez (je maintiens que Brad Dourif aurait fait un excellent Wiseau, regardez simplement des photos récentes de lui avec les cheveux longs).
Néanmoins, quand le premier trailer est tombé… la tendance s’est inversée, et j’étais prêt à faire confiance aux critiques positives qui arrivaient peu à peu. J’ai soudainement eu une certaine hâte de découvrir le film.
J’ai donc profité d’un très court passage à Londres pour découvrir The disaster artist au Prince Charles cinema, qui se targue d’être le premier au Royaume-Uni à avoir projeté The room, au point que c’est signalé par une enseigne accrochée en permanence au bâtiment.
Autant dire que le public qui s’y trouvait faisait preuve d’une surexcitation que j’ai partagé, mais pas pour bien longtemps.


Ce qui m’avait convaincu dans les bandes-annonces se retrouve dans le film : l’imitation très réussie de Tommy Wiseau par James Franco, maquillé de sorte à lui ressembler. Les efforts de reconstitution du film d’origine sont tout aussi honorables, et… c’est là que s’arrêtent les qualités de The disaster artist pour moi.
Déjà, le reste du casting est loin d’égaler la qualité du simili-Wiseau. Les acteurs sont loin d’être ressemblants, mais surtout sont affublés de perruques et de postiches évidents qui ne leur vont pas ; on dirait même que la moustache de Dave Franco n’est pas loin de se décoller lors d’une séquence. J’avais l’impression de voir une version suédée de The room.
Mais ce n’est pas le plus problématique. The disaster artist ressemble avant tout à une succession de sketchs qui se veulent comiques, destinés à faire du fanservice.
Certes la majorité des évènements présentés correspondent à ce qui s’est vraiment passé, mais Franco a retenu les scènes-clés qui font faire plaisir aux connaisseurs de The room, sans trop se soucier de raconter une histoire qui tient debout à côté.
Le film évacue beaucoup d’éléments pour pouvoir durer moins de 2h, ce qui fait déjà perdre de la profondeur aux personnages, mais ce qu’on garde du vécu de Greg Sestero et Tommy Wiseau en dehors du tournage de The room ne se traduit que par des scènes décousues et des thèmes mal développés.
La peine qu’a Greg à se trouver des rôles en tant qu’acteur, avant de se tourner vers The room par défaut, on ne la constate pas ; on ne ressent pas le désespoir qu’il doit connaître à force d’essuyer des refus qu’il ne fait que mentionner après-coup, sans qu’on y ait assisté.
La relation avec sa copine est à peine ébauchée ; on voit la fille 3 fois dans des scènes d’1mn environ, avant que le couple n’emménage ensemble.


Je me suis vite ennuyé devant The disaster artist, et je pensais que c’était parce que je connaissais déjà trop bien l’histoire des coulisses de The room, mais justement le film de James Franco n’apporte rien de nouveau ou de surprenant pour un spectateur comme moi.
Ce qu’il aurait pu apporter de plus par rapport au livre, c’est de l’émotion : nous faire ressentir l’oppression que subit Greg, son tiraillement, son inquiétude pour sa carrière et pour sa vie privée sur laquelle empiètent le tournage et Tommy. Au mieux c’est esquissé, au pire absent à cause d’enjeux manquants.
Si on a lu le livre, on est au courant que le tournage a tapé sur les nerfs de la copine de Greg et a causé leur séparation ; or l’adaptation de The disaster artist ne met même pas en lien la rupture avec le tournage de The room (on nous dit juste, après-coup là-encore, que la fille est partie) ; à aucun moment on ne voit la relation du couple se déliter progressivement, avant la scène décisive où la copine se barre, fâchée par un incident précis et non une accumulation. Ca aurait dû être la conclusion d’une trame concernant la façon dont The room affecte la vie privée de Greg, pas sa seule composante.


Le film de James Franco retranscrit des évènements qui, certes, pris indépendamment, se sont pour la plupart vraiment déroulés ainsi, mais qui, ensemble, ne constituent pas un tout cohérent.
Le réalisateur a échoué à créer des enjeux, ou alors à les faire comprendre. Du coup, je n’ai rien ressenti pour les personnages ; James semble avoir préféré soutirer des rires sans trop prendre de risques, en jouant la carte du fanservice : il cite telle réplique culte par-ci, évoque telle scène mémorable par-là, et pour le reste, il tourne tout en dérision.
J’admets qu’il est difficile de faire prendre au sérieux Tommy Wiseau, étant donné son intonation particulière dont il ne peut se débarrasser, mais je n’ai pas l’impression que James ait rien qu’essayé de nous faire ressentir de l’empathie pour lui.
Le portrait de Wiseau est manichéen, on ne retient pratiquement que les défauts du bonhomme, sans les contrebalancer avec une dose d’humanité. Ou alors cela s’efface sous une couche trop épaisse de second degré. Prenons pour exemple le road-trip vers le lieu de l’accident de James Dean : ça aurait pu permettre de montrer qu’au moins, il faut accorder à Wiseau qu’il incite Greg à poursuivre ses rêves sans les repousser à plus tard ou se chercher des excuses. Mais ce genre de moment est tourné en ridicule pour une raison ou une autre : là c’est l’utilisation de "Never gonna give you up" lors du trajet en voiture ; d’autres fois c’est parce que Franco en fait beaucoup trop pour insister sur le ridicule d’une situation ou de son personnage.
Du coup on ne ressent rien pour le personnage de Tommy Wiseau non plus, et comme pour rattraper son erreur dans les 5 dernières minutes, James Franco nous a pondu un happy end forcé et pas du tout réaliste, où il fait comme si l’auteur de The room avait été capable de prendre du recul vis-à-vis de son œuvre immédiatement après sa désillusion face à la réaction du public. C’est absurde quand on connaît Wiseau, mais aussi absurde tout simplement en terme de comportement humain.


Par ailleurs, le choix du casting et la mise en scène plutôt transparente donnent trop la sensation d’être face à une comédie Apatow, qui justement fait un cameo, dans l’une des rares scènes qui n’existe pas dans le bouquin. Plus tard, un autre rajout du genre sert à fournir, devinez quoi… un autre cameo, d’un co-star tout récent de James Franco.
Ça sent le délire perso et le film de potes, et ce n’est pas le traitement approprié selon moi pour un biopic qui n’aurait pas dû reposer autant sur la comédie, mais aussi comporter une profondeur à côté de laquelle est passé Franco.
Pour moi tout ça, ainsi que l’aspect fanservice facile, se confirme avec le générique de fin, qui fait un long comparatif de scènes du film original et de leurs reconstitutions ; c’est le genre de truc à garder pour un bonus DVD, mais le pire c’est qu’on dirait que Franco a juste voulu s’amuser à retourner ses scènes préférées, puisque beaucoup d’entre elles n’ont pas eu leur place dans le reste de The disaster artist.


The disaster artist n’est ni vraiment drôle passés les premiers instants, ni pertinent vis-à-vis de la réalité et du film d’origine, ni prenant en tant qu’œuvre à part entière.
A mes yeux ça n’a aucun intérêt, sauf si on ne sait pas lire ; autrement autant se tourner vers le livre de Greg Sestero, ou attendre la sortie du documentaire "Room full of spoons".

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le 3 déc. 2017

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