Une superbe maison isolée au fond des bois, un cambriolage qui tourne mal, un père et sa fille dotée d'un bras robotisé, un chien parlant avec la voix de la mère de cette dernière, la découverte d'un immense cube noir capable d'influer sur le temps au milieu de la forêt, deux mystérieux inconnus, trois cylindres... Non, non, malgré les apparences, il ne s'agit pas des éléments du script d'un nouveau manga écrit sous acide mais bel et bien d'un premier long-métrage de SF espagnol (en solo pour ce réalisateur) sorti de nulle part et absolument captivant de la première à la dernière minute.


Dès le mystérieux plan-séquence d'ouverture, "Black Hollow Cage" impressionne par la maîtrise formelle dont fait preuve Sadrac González-Perellón, une qualité qui ne se démentira jamais tout au long du film. À peine émaillé de quelques sorties en forêt, ce huis-clos nous enferme dans la demeure à l'architecture moderne habitée par ce père, Adam, et sa fille amputée d'un bras, Alice. L'immensité des pièces et les baies vitrées ont beau donner l'illusion d'un gigantesque espace ouvert sur les bois environnants, il n'en est rien. La maison renvoie rapidement l'impression d'une prison, au sens strict du terme d'abord, par son verre blindée, ses portes qui ne s'ouvrent que de l'intérieur et la paranoïa constante autour de potentiels rôdeurs mais également, sur un plan plus métaphorique, par l'austérité et le sentiment de vide qui s'en dégagent. Peut-être que la bâtisse fut le théâtre d'un certain bonheur autrefois, aujourd'hui, elle ne paraît remplie que de la douleur d'un père et d'une fille désormais irréconciliables à cause, on le suppose, d'un deuil insurmontable.
Ce lien perdu et ses ramifications émotionnelles se traduira d'ailleurs par toutes les interactions des personnages avec l'environnement SF qui l'entoure. Le bras robotique de la petite fille ? L'apprentissage pour le maîtriser est un calvaire pour Alice et son manque de patience avec l'appareil montre en réalité qu'elle n'est pas prête à tourner définitivement la page du drame qui a causé la perte de son membre. Ce chien doué de la parole et paraissant avoir hérité de la conscience de la mère ? Il cristallise à lui tout seul l'impossibilité d'un retour en arrière de la relation père-fille en faisant de la mère une personne encore vivante aux yeux d'Alice, ce que son père se refuse à accepter. Ce cube noir en pleine forêt au pouvoirs temporels insoupçonnés ? Il est au coeur d'un évènement majeur qui va soit faire grandir la spirale infernale dont sont prisonniers Alice et son père dans des proportions encore plus dramatiques, soit les faire entrevoir l'espérance de la reconstruction de leur lien alors que tout s'y oppose d'un point de vue rationnel.
Vous l'aurez sans doute compris, ces éléments futuristes servent avant tout le drame intimiste en train de se jouer où la culpabilité et le poids du deuil sont des remparts infranchissables pour Alice et son père. Il faut d'ailleurs accepter l'absence d'explications claires autour de la véritable nature de ce chien (un indice important y apporte néanmoins un début de piste) ou de la présence de ce cube aux propriétés folles dans la forêt, ils sont présents, point, et sont de simples outils à utiliser sur la route de la guérison des personnages qui acceptent leur incongruité tout comme se doit de le faire le spectateur.
Ce sont également des piliers essentiels à la formidable ambiance qui émane de "Black Hollow Cage" où cette accumulation d'improbalités donne à la fois le sentiment que tout peut y arriver et une fascination totale sur la manière de relier tous les points que l'on nous présente à écran pour tenter d'y déceler un schéma global.
Toujours dans cette optique de capter en permanence l'attention du spectateur, Sadrac González-Perellón le place dans un rôle d'observateur omniscient, voire même de quasi-rôdeur autour de la maison, en recourant sans cesse à sa mimique de plans-séquences silencieux extérieurs pour ne rater aucun mouvements des personnages lorsque ceux-ci passent à l'action en poursuivant tous leurs propres desseins.
On ne s'attardera pas trop sur la teneur de l'intrigue (l'effet de surprise a son importance à la réussite de l'entreprise) mais l'ajout de deux inconnus à l'équation du lien père-fille va bien entendu bouleverser la donne et réserver un lot de rebondissements étonnants au coeur d'un film qui privilégie la lenteur et donne une importance équivalente au moindre mot des dialogues qu'aux nombreux silences lourds de sens (soulignons aussi l'excellence à ce jeu de la performance du duo Julian Nicholson/Lowena McDonell).
Peut-être que la dernière partie est un peu plus prévisible que le reste une fois certains éclairages apportés mais il n'en demeure pas moins que "Black Hollow Cage" parvient à exercer son pouvoir d'attraction démentiel jusqu'à la dernière seconde, créant même une impression de manque aussitôt terminé.


En guise de premier long-métrage en solo, Sadrac González-Perellón signe donc un drame de SF intimiste qui laissera forcément une grande partie du public sur le carreau aussi bien par son exigence formelle que par son intelligence d'approche des voyages temporels mais ceux qui adhèreront à l'expérience y verront une première oeuvre absolument brillante, fer de lance d'un cinéma espagnol qui, après l'épouvante, semble avoir trouvé un nouveau créneau d'expression pour une nouvelle génération de cinéastes talentueux. Et, bon sang, on en redemande !

RedArrow
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le 15 janv. 2019

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RedArrow

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