The Assistant agglomère sous les traits d'un film des centaines de témoignages recueillis par la réalisatrice Kitty Green. Des témoignages d'employés officiant surtout dans des boîtes de productions comme celles d'Harvey Weinstein ou de Miramax. Pour parler comme au bureau ce qui "drive" dès lors un tel film est une retranscription minutieuse de ces environnements de travail où des choses inconvenantes semblent avoir lieu ou qui ont vraiment lieu derrière les portes closes.


Une assistante de producteur que l'on suit de près pendant toute une journée entre bureaux et étages d'un immeuble de Manhattan : voilà un pitch qui se suffira à lui-même pendant près d'une heure et demie. Fraichement débarquée depuis quelques semaines on vivra avec elle une journée pivot qui lui révèlera son environnement de travail sous un jour oppressant. Le big boss se devine mais n'apparaît jamais à l'écran, comme ces personnages de Tom et Jerry beaucoup trop grands pour apparaitre à la hauteur des petits personnages. La comparaison avec le "Invisible Man" récemment ré-adapté avec Elisabeth Moss tient tout autant. Son bureau est souvent vide, porte grande ouverte, cependant il est partout et son ombre se projette, enveloppante comme la cape de Dracula. "Il" est celui dont les gens n'ont pas besoin de prononcer le nom pour en parler. C'est aussi celui qui reçoit des jeunes filles pour des auditions et engage une assistante supplémentaire largement "à son goût" pour reprendre les termes du DRH joué par Matthew McFadyen déjà excellent dans The Succession en petit ouvrier dissimulateur de l'horreur normalisée des "big companies" new-yorkaises.


On pourrait penser que l'assistante jouée par la fabuleuse Julia Garner est paranoïaque mais les chuchotements des collègues, les silences évocateurs, les sous-entendus railleurs de certains employés et d'autres nombreux détails relationnels montrent que quelque chose, dont on ne saura jamais ce qu'il en est vraiment, a bien lieu. Cette emprise d'une personne sur tout un environnement sera largement confortée par le rendez-vous de l'assistante avec le DRH évoqué précédemment. Celui-ci l'invitera à ne pas donner suite à une plainte qu'elle envisageait (sans vraiment savoir comment la formuler d'ailleurs) envers ce boss qui ne lui semble pas tout à fait net. Le jeu des deux acteurs est ici immanquable tant il détaille avec précision la férocité qui réduit l'autre dans un silence hébété. Devoir s'avouer vaincue par l'impossibilité première de lancer un combat qui lui ferait perdre beaucoup. Le fond est aussi simple que cela mais parfaitement mis en scène ici.


La dynamique qui se joue entre la réalisatrice et son actrice principale permet d'élever le film vers l'angoisse presque claustrophobique. En effet la caméra enchaîne les gros plans sur ses expressions faciales et corporelles pour permettre d'adopter sa manière de recevoir les stimulis de son environnement. Elle est comme une éponge. Elle reçoit, recoupe, déduit. On le devine car l'actrice porte tout cela dans ses gestes. Mais elle ne peut jamais vraiment conclure à une quelconque forme de culpabilité de son boss. Son ressenti est cependant conforté par le nôtre au regard de ce que le film nous donne à voir. Ce qui est traduit là c'est l'intime conviction qu'on ne peut démontrer et qui a probablement eu place dans des affaires portant le sceau de MeToo. La richesse des témoignages recueillis par Kitty Green a certainement permis la construction fourmillante et très précise de ce personnage du quotidien fascinant. Elle assiste sans voir, elle devine sans savoir, elle accepte sans consentir à son futur quotidien.


Si The Assistant ne prend pas le chemin du divertissement à visée édifiante usant de smart-talks datés comme les films à la "Bombshell" sauce Adam Mckay, il rive à son siège en absorbant toute notre attention devant cette aliénation qui est une réalité. Il draine aussi au passage un peu d'énergie vitale.

-Thomas-
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le 8 août 2020

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Vagabond

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