Un cinéaste peut-il connaître une lente mais sûre progression tout au long de son œuvre ? Stanley Kubrick était convaincu d’avoir réalisé avec Eyes Wide Shut son film le plus abouti sur le plan psychologique, et Akira Kurosawa déclarait entrevoir enfin les possibilités du cinéma sur la fin de sa vie, après un demi-siècle de métier. Christopher Nolan ne connaîtra peut-être pas cette humilité, tant son TENET souligne les limites de son cinéma.


J’apprécie beaucoup Nolan, n’allez pas croire le contraire. Sous le vernis de sa réputation kubrickienne d’emmerdeur pointilleux, Nolan est un réalisateur émérite, fin connaisseur de son outil qu’est le film de cinéma, de ses possibilités et de ses limites techniques. C’est également un habile raconteur d’histoires, véritable Shérazade capable de faire passer une histoire simple pour complexe en tordant un peu la narration à sa sauce. Et TENET, c’est tout ça en fait : de belles images, un sens du spectacle, bref un formalisme de tous les instants dissimulant bon gré mal gré une histoire vaine et plate. C’est une habitude depuis les débuts du cinéaste, mais là où Memento et plus tard Inception offraient divers degrés de lecture, Dunkirk montrait déjà les signes de faiblesse, et TENET ne fait que les mettre au grand jour.


C’est bien simple, le film est une version impeccable, un brin intelligente et tendance SF de ce qu’est James Bond. Même méchant caricatural, même dimension tragico-christique du héros, même cartes postales internationales en guise de décors, même femme fatale au (de) passage. Si Nolan avait voulu postuler chez MGM pour le prochain 007, il n’aurait pas fait plus belle carte de visite. Le problème, c’est qu’en s’attaquant à un genre aussi balisé, Nolan abandonne l’espoir de surprendre le spectateur par son histoire, et doit donc se retrancher derrière deux éléments : l’esthétique originale et la dimension cérébrale de son concept. Double problème : l’esthétique ne décolle pas (en dehors de quelques séquences, la majorité du film est un film d’action classique, tantôt à l’endroit tantôt à l’envers) et la dimension cérébrale ne peut jamais s’épanouir, noyée dans des concepts théoriques mal expliqués, des dialogues trop écrits et un film au final très verbeux et peu démonstratif. Tout cela sous le poids écrasant de la musique (du bruit ?) de Ludwig Göransson, le cul entre deux chaises, poursuivant le travail sonore d’Hans Zimmer (notamment la Gamme de Shepard) tout en proposant des sons passés à l’envers (donc moches), cela donne un film oppressant, oscillant beaucoup trop entre réflexion et émotions, incapable de trouver le juste milieu. Dunkirk avait cette intelligence d’être terre à terre : 3 parcours intimes à un moment T. Mourir ou survivre dans un laps de temps donné à un endroit précis, et non pas sauver l’humanité dans un futur incertain en parcourant le globe. Ajoutons enfin à cela des personnages réduits au rang de pions sur l’échiquier cinématographique du cinéaste, et vous obtenez un film certes beau et propre mais terriblement lisse et froid, comme du marbre.


La frustration est donc totale : Nolan s’est enfermé plus que de raison dans son propre cinéma, sans réfléchir sur celui-ci, en exacerbant jusqu’à l’outrance ses traits, bons et mauvais. Comme Quentin Tarantino et son Once upon a time in Hollywood, Nolan a savouré sa toute puissance en faisant un film pour lui avant tout et moins pour un public devant sans arrêt être surpris. C’est bien beau de contrôler chaque pixel, chaque décibel de son film, mais il ne faut jamais oublier qu’une image doit être lisible et un mixage audible. Surtout, ne jamais oublier que ce que les gens retiennent, c’est l’histoire, l’histoire, l’histoire. A trop jouer aux démiurges, Nolan en a oublié d’être un bon conteur. Il ne lui reste plus qu’à faire marche arrière s’il veut assurer son avenir.

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le 23 mars 2021

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