Il commence a y avoir assez de films de Nolan pour avoir une petite idée de comment prendre ses films. Ça marche comme les souvenirs : faut pas se concentrer sur les détails mais sur l'émotion. Et forcément, vu que Nolan semble ne maîtriser ni les scènes d'action (un peu vrai) ni les émotions (pas vrai du tout), ça ne saute pas au visage. Pourtant Interstellaire se résume presque à la scène de rewind de la vie de ses enfants et Inception à la scène avec le faux père mourant par exemple. Le reste n'est "qu'une" mise en scène pour en arriver là. Dans Tenet, l'histoire n'est qu'un prétexte pour la conclusion de l'histoire du Protagoniste et de Neil : on pédale dans un film ou l'émotion semble encore moins présente que d'habitude pour un moment qui n'est pas forcément compréhensible du premier coup si on ne suit pas. Et pourquoi on ne suivrait pas, c'est "juste" un film après tout ? Parce qu'on se concentre sur les conneries de voyage à rebours et de sauts dans l'histoire. C'est juste pas ça le point avec Nolan.


De fait Tenet est peut-être un peu plus faible que les autres, ça se voit bien à la quantité de gens qui trouvent ça froid - parce que quelques évidences sur le trio de tête leur passent par-dessus - et confus. On peut blâmer le public d'être stupide, il a bien élu Trump, Johnson et Macron, mais ça reste le boulot du cinéaste de se rendre compréhensible au moins pour son message central.


Et le message central il est là et il est évident. Tout le monde est forcé de lâcher prise (et n'y arrive pas forcément) face aux sales coups de la vie, à cause du passage du temps. Neil va toujours devoir accomplir son destin, le Protagoniste va devoir se guider lui-même au prix de quelques souffrances et sa copine quelque part condamne "Neil", ce qui est très con.


Mais comme Nolan à sa façon de faire ses films, le truc est un peu noyé, comme si la putain de toupie de la fin d'Inception tournait pendant deux heures trente et hypnotisait le spectateur. C'est pas grave, parce que si on débranche et qu'on se branle de l'histoire, il y a quand même un film d'action distrayant au minimum, et c'est déjà pas mal quand on voit la fadeur des films concurrents.


Ayant déjà spoilé pas mal, allons-y franchement.


Le protagoniste est un agent secret, soit. Mais dès le début et tout au long du film, ce qui est souligné c'est son absence de traçabilité. Dans un sens c'est une évidence, James Bond est le seul agent de fiction qui donne son nom au moindre type qui lui sert le café, mais dans le cas du Protagoniste c'est établit dans la narration du film qu'à ce point, c'est une anomalie. Son contact indien a l'habitude de retracer les agents, Sator a des moyens anormaux (le futur) pour y parvenir de manière tout simplement impossible à empêcher. Il n'est pas normal que le Protagoniste soit à ce point impossible à situer. La fin du film clarifie totalement la chose : il s'est piloté lui-même de l'extérieur depuis des années pour jouer le rôle qu'il à a jouer.


Du coup, sa rencontre avec Neil n'est plus normale. Neil est un fixer, contrairement au Protagoniste qui est là pour faire son bizness discrètement sans se présenter à personne, Neil est là pour connaître tout le monde, établir les liens entre l'employeur et les ressources nécessaires. Du coup il est aussi le type à effacer pour couvrir ses traces et il le fait remarquer sans détour. Vu la gravité des enjeux, il ne s'attend pas à survivre même - surtout - en cas de réussite. Dans ces conditions, est-il possible que Neil connaisse un détail aussi intime sur le Protagoniste que sa consommation d'alcool ? Absolument pas, et c'est un faux-pas de sa part. Il aurait du commander un verre d'alcool qu'il aurait pertinemment su ne pas être consommé ensuite.
Il est vite clair dans le film qu'il sait des choses qu'il n'est pas censé savoir, mais ces choses concernent spécifiquement la mission, l'Autour de la mission (genre il parle ukrainien, quelle coïncidence) et le Protagoniste.


A la fin du film, le lien entre les deux est relativement clair si on se pose les bonnes questions. Quand Neil s'en va à la mort, il mentionne que c'est la fin de leur amitié (au Protagoniste et lui) minimalement parce qu'ils ne vont pas dans le même segment du temps, au maximum parce qu'il est conscient qu'il va mourir (pas convaincu, perso). Il mentionne aussi que ce sera bientôt le début de leur amitié, dans un futur proche. Sachant que le Protagoniste, maintenant son propre mentor et protecteur, va consacrer sa vie à disparaître, on voit mal comment il aurait du temps à former un jeune Neil pour intégrer le monde des services secrets. Sauf si ...


Une fois admit que Neil est bien X, la scène est plus poignante encore. Le protagoniste sait à qui il va s'attacher, avec qui il va se lier profondément et qu'il est destiné à perdre. Mais empêcher Neil d'accomplir son destin, c'est condamner l'humanité, alors il le laisse partir. C'est tout le thème du film. Mme la Mal Mariée ne peut pas se résoudre à laisser son mari crever en paix et elle le tue un peu trop tôt, et c'est très con car elle force la main dans la suite des événements. Elle non plus ne pourra plus profiter de la présence de Neil passé un certain point. Le Protagoniste est finalement le seul qui sacrifie quelqu'un en connaissance de cause, reflet un peu cruel de son propre sacrifice au tout début du film quand il prend le cyanure pour ne pas trahir ses potes : lui est capable par nature d'adhérer au bien commun peu importe le prix.


Le nœud du film, c'est le trio principal. Sator est un outil pour la conversation, rien de plus. Inception parlait d'un fils qui faisait la paix avec son père et d'un père qui voulait retrouver ses enfants, Interstellaire d'un père qui mourrait de perdre sa fille et Tenet d'un beau-père qui accompagne les siens dans un divorce difficile.

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le 12 sept. 2020

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