Si vous avez suivi la carrière de Christopher Nolan depuis sa percée en 2000 avec Memento, alors vous êtes au courant que le temps est son obsession. C'est bien autour de lui que gravitent les destins (souvent contrariés) de ses héros, coincés dans cette donnée universelle que le cinéaste comprime, étend ou distord telle une mécanique de haute précision. Pas étonnant qu'elle soit aujourd'hui le high-concept derrière Tenet.
Derrière le vernis d'un nouveau James Bond à la sauce Nolan (original donc), on tient surtout le film-somme de son auteur. Pas la peine de faire la liste, les liens avec ses précédents longs vous sauteront aux yeux (si ce n'est déjà fait). Si Tenet fait écho à tous, j'insisterai surtout sur Dunkirk. Électron libre dans le dispositif chiadé, le survival guerrier fut surtout le moment du dégraissage pour revenir aux émotions brutes, à du sensoriel. Un défi qui a semble-t-il beaucoup apporté à son réalisateur. À tel point qu'au détour d'une réplique ("n'essayez pas de le comprendre, ressentez-le") le nouveau film semble exhorter le spectateur à oublier le cérébral (et la physique) pour se laisser embarquer dans le jeu. Plus facile à dire qu'à faire, surtout quand les règles sont presque cryptiques, la faute à une écriture dans les dialogues qui manque de simplicité. Et le rythme effréné n'aide pas, malgré les 2h30. Il manque ces petites minutes de respiration pour digérer (ou déchiffrer) les explications et revirements. Dans la quête visant à mêler concepts pointus et ambitions grand public, tenir l'équilibre est un exercice périlleux. Tenet vacille à plusieurs reprises.
Heureusement, ces scories sont largement compensées par les prouesses accomplies devant et derrière la caméra. John David Washington campe un super-espion raffiné et charismatique. Qu'il cause ou qu'il cogne, il fait un carton à tous les coups. Malgré ça, il est presque éclipsé par un Robert Pattinson au magnétisme irrésistible. Pour fermer la marche, Elizabeth Debicki ajoute beaucoup de cœur au film et toujours de manière subtile. S'il n'est pas à son zénith au stylo ce coup-ci, Christopher Nolan n'a jamais frappé aussi fort en termes de spectacle. Fervent défenseur d'un cinéma bigger than life où l'artisanat et les cascades avec les câbles priment sur le digital et les copies numériques, Tenet est juste hallucinant. L'inversion temporelle offre au long-métrage plusieurs séquences absolument stupéfiantes d'envergure et d'authenticité. On ressent le poids et la puissance de chaque crochet, de chaque impact de balle...ou de boeing. Cette magnificence, elle est principalement à mettre au crédit d'un cinéaste qui connait l'importance du son, de la couleur et des lumières pour transmettre une impression ou un sentiment. En conséquence, il bénéficie d'un mixage sonore qui vous vrille les tympans, d'une bande originale aux motifs polyrythmiques entêtants (Ludwig Göransson s'inscrit dans la continuité expérimentale de Hans Zimmer pour Dunkirk). Enfin, il retrouve le directeur de la photographie Hoyte Van Hoytema, qui donne une palette très riche au film.
Il s'en est fallu de peu pour que Tenet tutoie les cimes atteintes par certains précédents films signés Nolan. Plus de sobriété dans l'écriture, plus d'aération dans le montage. Peu de choses, au final. Surtout au regard des énormes qualités qui irradient à l'écran, et laissent entrevoir le chemin parcouru par le réalisateur depuis sa mise en orbite. Même obsession (le temps), même soif de défi, même amour du 7ème Art, mais jamais le même film.

ConFuCkamuS
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films de Christopher Nolan et Les meilleurs films de 2020

Créée

le 25 août 2020

Critique lue 580 fois

1 j'aime

ConFuCkamuS

Écrit par

Critique lue 580 fois

1

D'autres avis sur Tenet

Tenet
lhomme-grenouille
4

L’histoire de l’homme qui avançait en reculant

Il y a quelques semaines de cela je revoyais « Inception » et j’écrivais ceci : « A bien tout prendre, pour moi, il n’y a qu’un seul vrai problème à cet « Inception » (mais de taille) : c’est la...

le 27 août 2020

236 j'aime

80

Tenet
guyness
5

Tenet, mais pas sans bavures

Un célèbre critique de cinéma expliquait (à moins que ce ne soit mon grand-père, qui n’était pas à un paradoxe près) que si une intrigue avait besoin tous les quarts d’heures d’un long tunnel...

le 25 août 2020

200 j'aime

28

Tenet
Behind_the_Mask
9

La relativité du temps et de l'approche du blockbuster contemporain

Il faudra un jour qu'on m'explique. Car, sans doute, je ne comprends pas tout. Encore une une fois, soupirerez-vous. Aujourd'hui, tout le monde s'accorde sur le fait que le blockbuster made in USA,...

le 26 août 2020

145 j'aime

44

Du même critique

Dune
ConFuCkamuS
4

Anesthésie Spatiale

Peut-on partir avec un avantage si l'on décide d'aller voir l'adaptation d'une œuvre matrice dans la littérature ? Oui, en ne l'ayant pas lue. Il n'est pas toujours aisé de jongler entre...

le 15 sept. 2021

66 j'aime

8

I Care a Lot
ConFuCkamuS
4

Épigone Girl

Dur d'échapper à son rôle phare. Propulsée sur le devant de la scène avec le rôle d'Amy dans le d'ores et déjà classique Gone Girl réalisé par David Fincher, l'actrice Rosamund Pike n'a pas ménagé...

le 20 févr. 2021

60 j'aime

Les Trois Mousquetaires - Milady
ConFuCkamuS
3

Tous pour presque rien

Huit mois, ça peut être un vrai obstacle à la compréhension à l'ère du streaming et du binge-watching. Tout spécialement si vous vous lancez dans la suite d'un film pas très fameux, et que cette...

le 13 déc. 2023

48 j'aime

7