C’est finalement au bout de quelques semaines après la sortie inespérée de Tenet que je me laisse tenter à l’idée de rejoindre la danse dans cet amas de critiques postées sur le site mais, en même temps, comment pourrais-je résister ? La sortie d'un film de Christopher Nolan fait désormais systématiquement sensation et, malgré le fait que tout ce tapage autour d'un réalisateur qui sait, il faut bien l'admettre, y faire avec une caméra mais qui peine à se renouveler depuis quelques temps, a tendance à m'agacer, je tenais à vous faire part de mon enthousiasme ressenti lors de ma découverte en salle de son nouveau cru qui s'avère être une proposition de cinéma particulièrement divertissante et jubilatoire (une part de moi souhaite aussi probablement se racheter pour les propos acerbes que j’ai pu tenir à son encontre avant sa sortie en salle).

Après un Interstellar impressionnant mais trop ambitieux dans son propos et un Dunkirk dans lequel les limites du style nolanien pouvaient se ressentir, le réalisateur de The Dark Knight nous sert, pour son dixième long métrage, quelque chose de très similaire à ce qu’il nous avait déjà proposé avec Inception.

Film d’espionnage saupoudré de science-fiction réaliste, Tenet s’apparenterait presque, en effet, au deuxième volet d’une trilogie initiée en 2010. Si le parallèle entre les deux se décelait dès les premièrs aperçus du film emmené par John David Washington, celui-ci se ressent d’autant plus au niveau de la construction des deux films. Pour illustrer le propos, il peut être rappelé que l’on retrouve une séquence d’ouverture qui nous plonge directement dans l’action et donne, avec plus ou moins de générosité, les clés pour introduire les concepts qui vont constitués le cœur de l’intrigue. S’en suit alors, pour nos mystérieux protagonistes, l’assignation d’une mission dont l’exécution repose sur le respect d’un timing pour le moins particulier et dans le cadre de laquelle la perception classique du temps est amenée à être remise en cause (sans oublier, naturellement, les théories qui peuvent s’échafauder une fois le générique de fin venu).

Cependant, le point de divergence entre les deux métrages réside, selon moi, dans l’importance accordée à la pédagogie. En effet, dans Inception, Nolan prend le temps d’expliquer les grandes idées qui structurent l’intrigue : qu’il s’agisse du concept de profondeurs, du totem ou encore des limbes, l’écriture sème au fur et à mesure des éléments d’explication pour renforcer la compréhension de la proposition. Cela se ressent, par ailleurs, dans le fait que Cobb, expert dans le domaine du subconscient et du partage de rêves, prend sous son aile une jeune architecte, Ariadne, pour lui apprendre les ficelles du métier. Or, dans Tenet, le Protagoniste découvre en même temps que le spectateur le concept d’inversion temporelle et n’a que pour seule bribe d’explication une courte conversation avec le personnage de Clémence Poesy au cours de laquelle sont effleurées du bout des doigts les implications dudit concept, à l'instar de la scientifique qui fait danser une balle inversée sans à peine la toucher.

Redoutant un flux d'informations indigestes visant à expliquer l’étrange paradoxe temporel qui caractérise ces objets-échos du futur, constater que Nolan n'a pas cherché à trop rentrer dans le détail fut, pour ma part, particulièrement appréciable. Cela étant dit, le revers de la médaille de cette démarche consiste en la frustration qui peut être ressentie par le fait de ne pas saisir les tenants et les aboutissants de ce qui est présenté sous nos yeux. Le visionnage de Tenet suppose donc un effort de lâcher prise : la réplique « don’t try to understand it. Just feel it. », adressée aussi bien au Protagoniste qu’au spectateur, souligne parfaitement cette idée et constitue la clé pour pouvoir pleinement apprécier le film (du moins pour le premier visionnage). Sans cela, celui-ci risque de susciter certaines sensations de vertige (ou « crampes cérébrales » comme je m'amuse à les appeler depuis ma découverte de Memento) qui empêchent de profiter du spectacle, ce qui serait regrettable car, au niveau de l’action pure, Nolan régale et offre des séquences renversantes et dantesques.

Partant, on pourrait presque affirmer sans trop prendre de risque que la forme l’emporte sur le fond, notamment si l’on souligne le fait que l’utilisation du fameux carré de Sator, dont les composantes sont éclatées et distribuées sur l’ensemble du film, soit plus anecdotique que nécessaire, bien que cela ne l’empêche pas d’être fait avec intelligence (on notera ici le fait que Pompéi, l’un des sites sur lequel a été retrouvé le groupe de palindromes, soit évoquée à plusieurs reprises) malgré son manque de subtilité patent, ou encore que Tenet peut rappeler des productions récentes telles que Doctor Strange et Predestination ou encore Doctor Who, ce qui confère à certaines situations et autres twist une impression de déjà vu. La force et l’intérêt de la proposition résident donc ailleurs, principalement, encore une fois, dans la démesure de la réalisation mais également dans le duo principal composé par un John David Washington convaincant qui peut, pour notre plus grand plaisir, se montrer insolent et effronté et un Robert Pattinson couteau suisse, toujours au bon endroit au bon moment. En revanche, le jeu cabotinant de Kenneth Branagh, qui a tendance à en faire trop durant la deuxième moitié du film, peut ne pas convaincre, tout comme la partition de Ludwig Göransson, plus expérimentale et, somme toute, frustrante et déstabilisante de par l’absence d’un thème principal comme il est coutume d’y avoir dans les bandes son composées par Hanz Zimmer.

Tenet marque donc un retour aux sources pour Nolan, l’image inversée d’une balle revenant dans le canon de l’arme dont elle provient le hantant depuis plusieurs années maintenant (image que l’on retrouve d’ailleurs dans son premier long métrage Memento), maîtrisé dans sa prestidigitation mais qui nécessite une certaine prise de recul afin de ne pas se laisser piéger par le souci du détail : pour cette raison, qui consiste, au fond, à tolérer la nébulosité du film, la proposition ne conviendra pas à tout le monde ! 8/10 !

vic-cobb

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