C’est dans les alcôves de Washington qu’Otto Preminger situe son film de 1962, « Advise and Consent ». Appartenant au sous-genre du thriller politique, le film s’attache à plonger le spectateur dans les plus noirs recoins de la politique américaine, en lui faisant partager le quotidien des hommes et femmes des plus hauts niveaux du pouvoir.


Le président des Etats-Unis, malade et vieillissant, souhaite nommer Robert Leffingwell au poste vacant de secrétaire d’état (leur ministre des affaires étrangères). Cette initiative est loin de faire l’unanimité, y compris au sein même de la majorité. Le président n’en démord pas : seul un homme de la stature de Leffingwell lui semble capable d’assumer la politique étrangère qu’il entend mener.


C’est au Sénat que revient le choix d’approuver, ou non, la nomination de Leffingwell. Devant l’hostilité manifestée par certains sénateurs, au nombre desquels le redouté Seabright Cooley, le chef de la majorité, Bob Munson, prend la décision de former une commission chargée d’entendre Leffingwell avant de soumettre sa nomination au vote de l’assemblée. Il espère ainsi pouvoir convertir les plus récalcitrants à la cause de l’homme d’état, et place le jeune sénateur Brigham Anderson, un de ses fidèles, à la tête du comité. Les enjeux sont capitaux, et, en coulisses, chaque camp ne tarde pas à déployer tous ses artifices pour parvenir à ses fins…


Tout amateur de politique – et, à fortiori, de politique américaine – trouvera largement son compte avec le film de Preminger. Le réalisateur croque avec adresse le paysage grisâtre de ce milieu dangereux, où les alliances se nouent dans l’ombre et où les intrigues complexes sont légion. Décrivant une brochette de personnages variés, Preminger n’épargne personne. Tout politicien, quelle que soit sa position dans l’échelle du pouvoir, cache un secret honteux, se vend au plus offrant, ou n’hésite pas à recourir aux pires bassesses pour servir sa cause. Même Henry Fonda, dont le rôle n’est pas pourtant très éloigné de son chevalier blanc habituel, voit ici son ascension fondée sur un mensonge doublé de parjure !


La réalisation est toute entière mise au service du propos du film. Jouant sur les contrastes, la lumière et les ombres, qu’il rend menaçantes, Preminger s’attèle à noircir l’ambiance à mesure que le film progresse. Les changements de rythme participent à une montée inexorable de la tension ; la question n’est plus finalement de savoir si l’issue de l’affaire sera tragique, mais bien qui craquera le premier. Le réalisateur fait des couloirs du capitole, des passages dérobés des manoirs et des places de Washington une jungle impitoyable où il faut tuer pour éviter de l’être.


Au-delà du caractère éminemment jubilatoire du thriller, qui maintient le spectateur en haleine, et de la description passionnante du paysage politique américain, le film peut (et doit) aussi être vu dans sa dimension critique des institutions. Les personnages et l’intrigue constituent un prétexte pour épingler les déviances et abus bien réels exercés à ce niveau du pouvoir. Le réalisateur condamne sans ménagement l’ingérence de l’exécutif qui entend forcer la main au corps législatif, dénonce vertement les méthodes odieuses de chantage et de corruption employées et méprise les querelles intestines et mesquines de ces individus tant obnubilés par leur propre personne qu’ils en oublient leur devoir. Il glisse même une légère attaque contre l’homophobie et la chasse aux sorcières, mais prend bien soin de couvrir ses arrières en introduisant quelques personnages honnêtes et moraux (après tout, nous ne sommes qu’en 1962 !).


Le film peut s’enorgueillir d’un casting trois étoiles : Charles Laughton, Henry Fonda, Gene Tierney… On pourra toutefois reprocher à Preminger de n’avoir fait qu’une utilisation maigre et peu optimale de cette équipe d’exception. En effet, sur les trois cités, un Laughton vieillissant cabotine un peu (ce sera son dernier film, on lui pardonne), Fonda est effacé et la belle Gene se fait trop rare (à sa décharge, elle sortait d’un séjour en asile psychiatrique et y retourna peu après). Les autres acteurs sont certes moins prestigieux, mais s’en tirent honorablement.


Preminger signe avec ce film un thriller politique haletant, tendu, où les alcôves du pouvoir à Washington se font le siège d’intrigues aussi passionnantes que mortelles. Le film est nerveux, dynamique et bien mis en scène. Il ravira tout fan de « House of Cards » qui se respecte, plaira à l’amateur du genre, et ne laissera même pas le plus anti-américain d’entre nous indifférent tant sa critique du système est acerbe. Il ne manque que Frank Underwood pour parachever le tableau !

Aramis
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le 26 sept. 2015

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Aramis

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