Ce n’est plus une surprise, il est évident que depuis quelques années, et plus encore, pour cette reprise des salles françaises, le cinéma français nous livre à intervalles réguliers de nouvelles propositions labellisées « genre », terme générique englobant finalement un peu tout et n’importe quoi, et ne voulant donc plus dire grand-chose. Mais toujours est-il que ce semblant de Foi retrouvée concernant des genres jugés autrefois comme indignes d’une cinématographie se voulant noble, a quelque chose de stimulant tout autant que préoccupant, dans le sens où tout le monde aujourd’hui semble vouloir faire son film de genre, en piochant dans divers registres, jusqu’à brouiller les repères concernant le public visé. Nous avons eu récemment l’exemple frappant de « La nuée », qui semblait n’utiliser son argument fantastique que comme caution pour en réalité ne faire qu’un film social de plus, l’horreur donnant l’impression de se caler difficilement par-dessus cette réalité, avec cette sensation au final que le film aurait tout à fait pu se passer de cet apport accessoire. Et pourtant, nous avons toujours envie par principe de défendre toute nouvelle proposition en la matière, la simple idée de pouvoir hurler fièrement que la relève est assurée, et bien de chez nous, ayant quelque chose d’excitant. L’arrivée du film des frères Boukherma a donc quelque chose de l’ordre du salvateur, et par la maîtrise dont ils font preuve à chaque instant dans tout ce qu’ils entreprennent, il est permis de retrouver le sourire, au moins le temps d’un film. Présentation.


Prenant place dans les Pyrénées, dans une France des « petites gens », évoquant forcément les protagonistes de Bruno Dumont, le récit ne met pas longtemps à nous familiariser avec toutes les personnes qui le peupleront, à commencer par le Teddy du titre, adolescent turbulent, ayant arrêté l’école un peu trop tôt, et passant donc pour un idiot aux yeux du plus grand nombre. Vivant chez son oncle adoptif, et sortant depuis quelques mois avec Rebecca, dont on comprend très vite qu’elle n’évolue pas dans le même milieu culturel que ce dernier, il sème le désordre partout où il passe, tout en rêvant d’un avenir confortable, espérant secrètement pouvoir faire taire les préjugés le voyant éternellement stagner de par un déterminisme social trop fort pour lui. Pendant ce temps, une bête invisible sème le chaos dans la région, jusqu’à ce que notre brave anti-héros croise sa route. A partir de là, la transformation va pouvoir opérer, avec des conséquences forcément dramatiques …


S’attaquant au mythe du loup-garou, qu’ils intègrent dans un univers régional, les cinéastes prenaient le risque de tomber dans le cynisme, car il aurait été facile de se moquer de ces personnages, et de les surplomber de façon ricanante et malhonnête. Bruno Dumont, avec son « P’tit Quinquin », semblait rire de ses protagonistes, et misait plus sur un burlesque très maîtrisé, mais qui laissait donc un peu de côté l’émotion. C’était un parti pris qui fonctionnait dans ce contexte, mais il aurait sans doute été contre-productif dans le cas présent de tenter une approche similaire, car il fallait pour trouver le ton juste ne pas négliger l’aspect humain essentiel dans ce type d’histoire. Les motifs du genre ont parfaitement été assimilés, et les frères ne se privent pas de nous les resservir, mais remis à leur sauce, à savoir dans un mélange de genres fortement risqué sur le papier, mais évident à l’écran. Car de par leur jeune âge (29 ans aujourd’hui), ils appartiennent à une génération ayant décloisonné les genres, élévés dans l’idée qu’il n’y avait rien de tel que la multiplication d’horizons cinématographiques et culturels pour se forger l’identité créatrice la plus productive qui soit. Et de cette éducation, ressort une sorte d’idéal de pop culture, où les références évidentes ne sont jamais brandies comme fin en soi, mais comme des modèles à partir desquels faire ressortir une personnalité plus atypique, allant piocher tout à la fois dans le cinéma de John Landis que dans des univers plus inattendus. C’est ainsi que par fulgurances, ressurgissent de doux souvenirs d’enfance, lorsqu’on regardait la trilogie du samedi, avec ces sensations presque sensorielles remontant à la surface, d’une candeur un peu perdue faisant un bien fou en ces temps troublés.


Ne regardant jamais leurs personnages comme des bêtes curieuses, particulièrement leur héros, les cinéastes choisissent la voie de l’ascenseur émotionnel, passant d’une tonalité à l’autre, et parvenant à une sorte d’équilibre miraculeux, tout simplement car ils ont compris qu’il n’y avait rien de tel que le premier degré pour atteindre leur but. Nul besoin d’en rajouter dans la caricature, les situations étant suffisamment savoureuses pour vivre par elles-mêmes, sans tomber dans une outrance burlesque qui rendrait du même coup l’horreur plus distancée et les instants dramatiques moins touchants. Car ce qui surprend le plus ici, c’est bel et bien la tendresse évidente dont peut faire preuve le binôme pour leur malheureux héros, victime à la fois des préjugés et d’une morsure le condamnant progressivement à une régression au stade animal, lui niant son humanité qui ne demandait pourtant qu’à être reconnue par le plus grand nombre. Car ce Teddy est bel et bien un brave gars ayant conscience de l’image qu’il renvoie, jeune homme paumé se cachant derrière une attitude excessive pour masquer le fait qu’il est mal dans sa peau, n’arrivant pas à se faire une place dans ce monde n’aimant rien mieux que mettre les gens dans des cases. Ayant tout à fait conscience que sortir avec cette fille convoitée par des garçons mieux lotis dans la hiérarchie sociale a quelque chose d'inespéré, il se fait des plans, terrifié à l’idée de la perdre et de se retrouver au plus bas niveau possible par rapport aux autres. Cette sensation de ne pas être à sa place dans le monde, d’avoir beaucoup à offrir sans que quiconque croit en nous, est parfaitement retranscrite, d’une part grâce à l’interprétation très incarnée de Anthony Bajon, acteur professionnel déjà remarqué ailleurs, explosant ici de mille nuances l’éloignant de toute facilité attendue, et puis par l’écriture et le regard empathique des cinéastes à son encontre. Aucune condescendance, mais une envie de nous le faire aimer, malgré ses excès qui ne sont le reflet que d’une profonde maladresse.


A partir de là, alors que la comédie traitée au premier degré et le romantisme adolescent rempli de mélancolie fonctionnent à plein, il n’y avait plus qu’à soigner l’irruption du fantastique dans cet univers pour faire carton plein. Et là encore, on constate que les auteurs ont pris toutes les meilleures décisions possibles en prenant en compte un budget une fois de plus insuffisant pour donner vie à des visions horrifiques d’une grande densité. Pas de transformation comme chez Landis ou Dante, donc, ni même de gros plan sur le monstre, et pourtant, on ne ressent à aucun moment de frustration à ce niveau, grâce au sens de l’enjeu et du point culminant dont ont fait preuve les deux frères à la mise en scène. Ne cherchant pas à pleurnicher sur l’impossibilité en France de faire du genre ambitieux, ils font avec ce qu’ils ont, pensant leur mise en scène en fonction de ce manque, et livrent une belle montée de tension, réellement progressive tout au long du métrage, notamment lors de scènes de sexe risquées (dont un cuni pour le moins … mordant), osant des instants organiques assez crispants (aïe, la langue), et ne tombant jamais dans le gore, ce qui n’exclut pas des instants sanglants assez saisissants, notamment lors du final, qui paraîtra peut-être déceptif pour les amateurs d’horreur spectaculaire, mais qui fait pourtant l’effet d’un vrai climax du point de vue émotionnel, avec en point d’orgue un plan de semi dévoilement de la créature du plus bel effet.


On a ici l’exemple parfait de cinéastes ayant compris comment se dépêtrer d’impératifs pouvant être pétrifiants pour certaines personnes, mais dont ils ont réussi à tirer le meilleur du point de vue émotionnel. Parce qu’ils savaient dans quelle aventure ils se lançaient, ce qu’ils allaient raconter et de quelle manière, ils ont tout simplement réussi le meilleur film possible avec ce qui leur était alloué, en combinant hommage sincère au genre, jamais traité en se bouchant le nez, peinture corrosive et jamais moqueuse d’un milieu populaire peu traité dans le cinéma français, et en nous offrant un beau héros tragique comme on en avait pas vu depuis longtemps. Car il ne faut pas s’y tromper, même s’il est vendu comme une comédie légèrement potache, avec de l’horreur dedans, tous les éléments mis en place à l’écran forment un tout où aucun aspect n’annule son voisin, formant un tout cohérent et attachant, pour ne pas dire très émouvant sur la fin. Et encore une fois, en ces temps de cynisme à tout prix, où prendre de la distance sur tout fait office de posture ultime, voir des gens aimant sincèrement leurs personnages, et cherchant à nous les faire aimer, est profondément touchant. Vivement leur film de requin sur la Côte d’Azur.

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le 4 juil. 2021

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micktaylor78

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