Suzume
7.1
Suzume

Long-métrage d'animation de Makoto Shinkai (2022)

Je n'avais pas prévu d'aller voir Suzume au cinéma, et puis je me suis dit "pourquoi pas ?". J'avais en plus un bon a priori de Makoto Shinkai, ayant vu ses deux précédents longs métrages, Your Name (2016) et Les enfants du temps (2019).

Sur l'animation d'abord, pas de surprise : elle est très belle, on retrouve les effets de lumière si chers à Shinkai. J'ai personnellement toujours un peu de mal avec la 3D, mais elle n'est utilisée qu'à deux ou trois occasions, et cela ne gâche en rien la qualité visuelle du film.

L'histoire quand à elle, aborde plusieurs sujets interessants : la mythologie nippone, les catastrophes naturelles au Japon, le deuil et le sacrifice.

Je ferai dans la suite des références au film en supposant que vous l’avez déjà vu.

Quand je vois Suzume ouvrir la première porte, je pense tout de suite à Pandore, mais peut être est-ce un européocentrisme de ma part. D'autant plus que tout au long du film, elle s'attache justement à fermer ces portes qui s'ouvrent en partie par sa faute. Dans le film, on croise aussi le Ver et Daijin, qui semblent être des inventions du réalisateur plus que des légendes préexistantes. On retrouve donc sans trop de surprises la dimension magico-fantastique déjà présente dans Your Name et Les enfants du Temps.

Le Ver, notamment, permet d'introduire dans le film une peur bien réelle des japonais : les catastrophes naturelles. Tout au long du film, les smartphones s'affolent et signalent les séismes lorsque le Ver sort. Cela ne manque pas de nous rappeler que cela reste une véritable problématique au Japon, ancrée dans la vie quotidienne et qui est source de douleurs encore vives.

C'est d'ailleurs le cas de Suzume, qui a perdu sa mère lors d'une catastrophe précédente. Ce film raconte aussi, métaphoriquement, son processus de guérison, sous la forme d'un road-trip qui la mènera jusqu'à son village natal. Les personnages rencontrés sur la route seront pour elle l'occasion de se reconstruire et de passer à autre chose, à commencer par sa tante et Sōta.

Ces deux personnages permettent d'ailleurs d'aborder une notion que je n'ai pas beaucoup (du tout) relevée dans les critiques que j'ai pu lire : la notion de sacrifice, , notion par ailleurs très ancrée dans la culture japonaise.

La tante de Suzume l’élève seule depuis la catastrophe de 2011 (Fukushima ? même si ce n’est pas explicite dans le film), lors de laquelle l’héroïne a perdu sa mère. Suzume culpabilise parfois, et se rend responsable du célibat de celle qui s’occupe d’elle. Lors de la « fugue » de Suzume, sa tante pose un jour de repos pour aller la chercher et la suivra dans la voiture d’un inconnu jusqu’à son village natal. Elles ont une relation mère/adolescente dans laquelle on retrouve plusieurs thèmes classiques : la fugue et le premier petit copain par exemple. Pourtant, la tante de Suzume n’est par définition pas sa mère, et elle est donc bien moins obligée de remplir ce rôle, tout comme Suzume adolescente va chercher à se détacher de cette autorité encore plus violemment que si elle était en conflit avec sa mère. Sauf que toute cette dimension est résolue en une scène d’engueulade qui n’en est même pas vraiment une, et nous prive d’un développement des personnages qui aurait pu être intéressant.

Sōta, quant à lui, est obligé par sa fonction de verrouilleur à traverser le Japon pour fermer les portes, parfois au dépend de ses études. Sōta s’acquitte de son devoir, mais a aussi des rêves en dehors de ses fonctions. Makoto Shinkai ira jusqu’à les responsabilités de Sōta à l’extrême puisque Daijin va le transformer en « pilier », ce qui l’empêche à la fois de reprendre sa forme humaine, et de vivre dans le monde des humains. À la fin du film, redevenu humain, il reprend son rôle de verrouilleur. Encore une fois je regrette le règlement un peu simpliste de cette partie de l’intrigue. D’autant plus que le thème du sacrifice et des responsabilités héréditaires était déjà traité, et mieux traité, dans Your Name, au travers du personnage de Mitsuha qui perpétrait la tradition familiale en étant miko.

Heureusement que le pouvoir de l’amour était là pour sauver Sōta et le retransformer en humain. Une histoire d’amour qui a failli être complètement différente puisque Makoto Shinkai voulait à l’origine que Suzume rencontre une autre fille. Transformer le personnage secondaire en chaise est un moyen pour lui de sortir du schéma romantique classique, mais le format même du scénario nous empêche un peu de croire à cette romance. Contrairement à Your Name où le lien se tisse au fur et à mesure des échanges de corps, dans Suzume, on voit une lycéenne tomber instantanément amoureuse d’un (bel) inconnu qui a quasiment fini ses études, et s’embarque pour lui dans un périple fou. J’ai déjà évoqué plus haut la relation conflictuelle « mère »/ « fille », mais jouer la carte de la révolte qui se transforme en fugue de trois jours à travers le Japon paraît peu convaincant.

En résumé, un animé joli visuellement (sauf les scènes en 3D), mais dans lequel Makoto Shinkai ne livre qu’une pâle copie de Your Name.



Ragdeul
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le 16 mai 2023

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