Une famille simple, un peu abimée…un papa et ses deux jolies petites filles, Suzanne et Maria…la maman est partie un peu trop tôt mais, dans la pudeur des petits milieux, on ne se plaint pas. Le père (François Damien, formidable) est routier. Tout son temps libre, il le garde pour ses deux filles. Dans son regard, on sent toute la tendresse d’un père qui a mis de côté sa vie d’homme pour sa famille.

Ellipse. Les deux fillettes sont devenues des adolescentes : Suzanne, introvertie silencieuse et Maria, solaire, pleine de vie. Ses deux sœurs si différentes s’aiment sans toujours se comprendre, à l’image d’une famille, sans fioritures ni artifices. Maria est en formation à Marseille ; Suzanne elle, tombe enceinte. « Pourquoi tu l’as gardé lui dit son père ? » « Parce que j’en avais envie »…claque. Nouvelle ellipse.

Charlie a quatre ans, sa mère l’emmène en boîte avec sa sœur le WE. Pour Maria, tout semble si simple : elle s’amuse, elle flirte, elle vit. A l’inverse, Suzanne donne l’impression de regarder les gens vivre, jusqu’à ce jour où, sans prévenir, elle a un coup de foudre pour Julien. De lui, on ne sait pas grand-chose si ce n’est qu’il n’est pas très recommandable. Il vit à Marseille et Suzanne quitte tout, son père, son boulot pour le rejoindre et s’installer chez Maria avec Charlie.

Suzanne se révèle une amoureuse passionnée qui vit exclusivement pour Julien. Elle devient égoïste, délaisse Charlie et abuse de la gentillesse de Maria.
Un jour, elle disparait. Dans une enveloppe adressée à Maria, elle a rassemblé un peu d’argent et écrit en gros « surtout, ne t’inquiète pas ».

Un an et demie plus tard, Charlie vit avec son grand père et Maria vient les voir les WE. Tous les trois ont perdu un peu de leur innocence : Charlie fait des crises de panique le soir, Maria croit apercevoir sa sœur dans leurs lieux communs et son père distribue des affichettes avec la photo de Suzanne.
Le spectateur la retrouve finalement en prison ; Julien est en fuite, Suzanne est condamnée pour cambriolage et violence aggravée. Elle apprend que Charlie a été placé en famille d’accueil…sa famille ressort abimée de cette passion ; Suzanne qui a beaucoup gâchée, tente alors de reconstruire. Elle revoit Charlie, fait la paix avec son père, remercie Maria…et puis, Julien revient ; Suzanne repart.

Les grandes passions ne sont pas l’apanage des personnalités singulières ; elles peuvent toucher des gens simples, des gens communs, des gens ordinaires. Suzanne est une jeune fille quelconque à laquelle il arrive quelque chose d’extraordinaire, ou du moins, qui le vit comme tel. Sa vie s’emballe et elle lâche prise.
Certains verront dans Suzanne une jeune fille égoïste, antipathique, insensée même, qui tourne le dos à ses responsabilités en tant que mère, sœur, fille pour un voyou. Ils la détesteront. Mais d’autres, comme moi, verront en Suzanne une jeune fille qui court désespérément après une sensation ; cette sensation, c’est tout simplement la vie. A la différence de Maria, Suzanne a longtemps été une spectatrice du monde. En ayant un enfant aussi jeune, elle a peut-être cherché à donner un sens à son existence. Mais c’est en rencontrant Julien qu’elle l’a finalement trouvé. Tout semble exagéré chez Suzanne alors qu’en réalité, rien n’est mis en scène, rien n’est calculé. Suzanne vit à travers un double qui la rassure. Et même si elle est consciente que Julien n’est pas l’homme idéal ; il est pour elle et réciproquement.
Sara Forestier met une nouvelle fois tout son talent au service d’un personnage inédit, difficile à discerner, complexe : un vrai personnage de cinéma.
Autour d’elle gravite de très beaux seconds rôles : mention spéciale à François Damiens et Adèle Haenel, la sœur sacrifiée qu’on aurait aimé connaître un peu plus. Mais cette présence forte et effacée, aux pieds ancrés dans la réalité, est aussi une manière de distinguer les héros du quotidien et le courage des gens ordinaires. L’émotion n’en est que plus grande ; elle arrive sans artifice.
C-L
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le 2 janv. 2014

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