Dans le genre OFNI qui ne laisse pas indifférent, Superstar : The Story of Karen Carpenter. Entre le biopic, le documentaire et le film expérimental, ce moyen-métrage de quarante-deux minutes raconte l'ascension, le zénith, la longue descente aux enfers, puis la mort de Karen Carpenter, chanteuse à succès des Carpenters décédée à trente-deux ans d'une crise cardiaque liée aux complications de l'état d'anorexie grave dont elle souffrait.


La première chose qui frappe d'emblée c'est la forme utilisée. Choisissant de traiter de sujets comme le culte de l'apparence et l'anorexie mentale en utilisant des poupées Barbie en lieu et place de vrais acteurs, Todd Haynes dresse le portrait d'une Amérique lisse, plastique et factice, une Amérique de paillettes et d'illusions, fabrique à rêves sans lendemain et à icônes produites à la chaîne. Non sans une certaine forme d'ironie amère. Quand Karen, petite jeune fille banale et sans histoires qui vit encore chez ses parents, et qui n'a même pas conscience de son talent naissant, décide avec l'appui de sa famille de s'engager avec un producteur véreux pour former avec son frère Richard le groupe qu'on connaît, c'est presque son arrêt de mort qu'elle vient de signer; comme nous l'explicite de manière pas très subtile Haynes, qui fait par ailleurs le choix de débuter par ce qui aurait pu être la dernière scène du film, la découverte du cadavre de l'héroïne, histoire de donner le ton d'entrée.


L'ensemble d'apparence très cheap, entre le manque d'animations, la réalisation qui se permet de rares excentricités et la performance d'acteurs qui tient souvent de l'amateurisme, associé au fait qu'il ne reste du film que des copies en état assez médiocre, donnant au métrage un aspect détérioré, cassé et fragile, rendent l'expérience d'autant plus éprouvante et saisissante qu'elles ne confèrent à ces poupées grossièrement articulées une vraie touche d'humanité et de sincérité. Comme pour rappeler que derrière cette gigantesque et imperturbable machine qu'est le star-système se cachent des existences ordinaires, chétives et en constante proie au doute, notamment celui qu'elles s'infligent et se constituent de toutes pièces. Il faut rappeler qu'à cette époque, l'anorexie mentale est une maladie assez méconnue, et que nous sommes alors encore bien loin des campagnes de sensibilisation qui verront le jour des années plus tard. Sans doute dans un désir d'éveiller les consciences, le film s'accompagne de temps à autres d'images et de messages au format presque documentaire, rappelant le caractère réel et plus qu'actuel du thème alors soulevé.


Conforté dans son entreprise, Haynes fait le choix de montrer la maladie sans filtre, quitte à la représenter ses jours les moins glorieux. Ainsi, quand elle ne chante pas pour évacuer son mal-être, Karen se bourre de laxatifs. Lorsque son frère fait cette découverte, Karen lui répond que c'est parce qu'elle souffre de constipations, ce qui évidemment ne trompe personne dans la famille, plus encore après constatation de l'inquiétante perte de poids de la chanteuse. Là où le film tape juste et fort, c'est qu'il met l'accent sur l'état psychique particulièrement trouble et complexe des malades, et qu'il ne suffit pas de prendre conscience de son état et d'avoir un soutien familial indéfectible pour s'en sortir. C'est le cas de Karen, qui sensibilisée par les réactions de ses proches et alertée de l'état préoccupant de sa santé, fera un premier pas sur le chemin de la guérison en revenant habiter dans la demeure familiale afin de suivre un traitement médical auprès d'un spécialiste et de prendre conseil auprès d'anciens malades ayant vaincu l'anorexie. Désormais persuadée d'être sur la bonne voie, Karen reprend goût à la vie. Elle a repris une quinzaine de kilos, elle réapprend à sourire, à plaisanter, elle est même fière de se vanter d'avoir des fesses. Tellement qu'elle se sent désormais capable de se prendre en main toute seule, annonçant à ses parents qu'elle repartira bientôt vivre en Californie, pour repartir du bon pied.


Une énième façade pour un point de non retour, et triste préambule aux glaçants et derniers moments du film, montrant les ultimes minutes de vie de Karen des mois après ces instants feints de sérénité retrouvée, et accompagnés d'images subliminales en prise de vue réelle illustrant la véritable horreur de cette maladie. Profondément triste, dérangeant, terrifiant, qu'on accroche ou non à la forme, voilà un film qui ne peut en tout cas pas laisser indemne.

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le 10 févr. 2019

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