Dans une Amérique rurale en proie à la crise financière, Robbie, jeune garçon de 14 ans, cache son désarroi en commettant de petits larcins. Avec la complicité de son petit frère, ce dernier n’hésite pas à voler les enveloppes d’anniversaire de garçons mieux lotis que lui. Ses vols, loin d’être guidés par une méchanceté gratuite, répondent au désir d’assurer un meilleur avenir à son petit frère et à leur grand-mère. L’été arrive, amenant avec lui son lot d’ennui et de problèmes inattendus : le frère aîné de Robbie, Lucas, vient de revenir en ville après plusieurs années d’absence. Entre les deux frères et leurs deux conceptions antagonistes de la morale, le temps risque fort de tourner à l’orage…
On dirait du Faulkner et pourtant nous sommes dans un univers à la Mark Twain. Loin des productions « sundance » parfois aseptisées qui occupent le cinéma indépendant, Summertime est un film fortement ancré dans la classe sociale qu’il représente. L’esthétique du film, dont le pendant européen pourrait correspondre aux productions de Bruno Dumont ou à celles de Ken Loach, est fortement conditionnée par le peu de moyens dont le réalisateur bénéficie. La lumière est naturelle, les acteurs sont pour la plupart amateurs et le scénario s’écrit au jour le jour. Matthew Gordon, dont il s’agit ici du premier film, tente de nous faire épouser le point de vue de Robbie, sorte de cousin éloigné de Huckleberry Finn. Une des trouvailles du réalisateur pour nous permettre d’accéder aux pensées de Robbie est de faire entendre sa voix en off, comme si ce dernier nous lisait le journal intime qu’il était en train de rédiger. Les phrases sont crues, parfois vulgaires, sans pourtant que le réalisateur déroge au pacte de sincérité dans lequel il nous entraîne. Il en résulte une œuvre forte et poignante, qui montre celles et ceux que le rêve américain a abandonnés sur le bord la route. Les thèmes intimes liés à l’adolescence (la puberté, les premières amours) s’entremêlent aux réflexions existentielles politiques (est-on nécessairement prisonnier de la classe sociale dans laquelle on naît ?), le tout éclairé par l’ambiance mélancolique d’un été qui touche à sa fin.
Et pourtant, cette misère apparente n’empêche pas les moments de grâce et de légèreté d’émerger. On rit des pérégrinations de Robbie et de son jeune frère, jamais à court d’idée pour semer le pantouflard shérif de la ville. En cela, Summertime est un vrai roman américain mis en image : les personnages semblent constamment répondre à « l’appel de la route », comme si leur seule et unique existence ne résidait que dans le déplacement. Américain, le film ne l’est pas seulement dans les images qu’il met en scène, mais aussi dans la narration qu’il utilise. Matthew Gordon montre que la tentation d’un film contemplatif n’est pas inadéquate avec l’art du storytelling américain, en proposant tantôt un rythme méditatif sur de magnifiques paysages, tantôt des scènes au suspense suffoquant.
Summertime est donc un film à voir pour sa justesse et pour l’empathie – qualité devenue trop rare dans les productions actuelles – que le réalisateur éprouve à l’égard de ses personnages. Road movie, chronique sociale, film d’aventure : cette œuvre s’ancre parfaitement dans le patrimoine américain qui la précède, tout en le dépoussiérant à coup de problématiques contemporaines. Passé quasi inaperçu lors de sa sortie, Summertime est une œuvre humaniste à (re)découvrir de toute urgence, et un réalisateur à surveiller de près.
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