Comment guérir de l’acrophobie. Et retenir la leçon.

Comment il a fait pour détrôner Citizen kane, celui-là ? Meilleur film de tous les temps, selon the British Film Institute. Ce n’est pas pour me déplaire. Depuis le temps qu’Orson Welles détient le trophée, il était temps de faire circuler un peu. Un peu de sang neuf, allez ! Et puis, je m’en fous. Avant cette consécration ultime, j’étais déjà fan du film. Un Hitchcock pour le moins bizarre, pas comme les autres. Était-ce un One shot ? Une expérience ? Un sommet ? Ce film, c’est un condensé, et une idée fixe. Ça commence sur les toits, et ça finit pareil, sur les hauteurs. John Fergusson, policier, poursuit un criminel, et se fait avoir. Il oublie qu’il est sujet au vertige, perd l’équilibre, un collègue, et le criminel aussi. Il doit maintenant vivre avec ce sentiment de culpabilité, et ce foutu vertige, qui ne lui permet même pas de monter sur une échelle. Il quitte son job. Vertigo.


Un vieil ami lui propose un job facile. Surveiller sa femme Madeleine, instable, et suicidaire. Il a peur qu’elle fasse une bêtise. John, qu’on appelle Scottie, est réticent, mais finit par accepter, et on embarque dans une gigantesque courbe elliptique, pour ne plus en sortir, qu’ivre et heureux de l’être. Il sauve la blonde épouse de la noyade, Kim Novak, (froide comme un glaçon), et finit par tomber amoureux. Problème. La course poursuite en apesanteur, se transforme en jeu amoureux, dans un labyrinthe psychodramatique profond, avec pour décors, les rues de San Francisco, la baie, la forêt de séquoias géants, le musée. Une descente aux enfers, sans même s'en rendre compte.


Qui est réellement cette femme, qui semble n’avoir pas d’âge? Elle passe son temps au musée, à observer le portrait d’une de ses ancêtres, une femme morte dans des conditions tragiques. Elle est trop jeune pour être obsédée par la mort, comme ça. Comment un homme au volant d’une voiture, qui suit une femme blonde insaisissable, ça a pu m’émouvoir à ce point ? Elle échappe à son chaperon, et se tue quand même. Scottie tombe en dépression. Trop c’est trop. C’est finit pour lui.
Mais voilà qu’il rencontre un jour, le sosie de Madeleine ! Une certaine Judy B. Une fille des plus banales. Il lui sort le grand jeu. Il l’a veut. Et la fille tombe dans le panneau. Le seul but de Scottie, c’était « récréer » Madeleine, l’a ramener à la vie. Il transforme sa conquête en Madeleine bis. Trop contente qu’on s’intéresse à elle, Judy se laisse faire. Et le piège se referme. J’ai tout dit. Mais j’ai rien dit. Superbe spoiler, qui n’en est pas un. Hitchcock nous fait le flashback, qui tue le suspense. Après ce flashback, on comprend tout. Scottie ne contrôlait rien depuis le début. Mais Chut…


Tout le monde aura reconnu le mythe d’Orphée, descendu aux Enfers rechercher sa femme.
Scottie va perdre, et de façon verticale. Vertigo. Hitch, lui plonge en plein délire mythico-romantique. Psycho-thriller. D’habitude, les histoires de couples, il les régle par un conflit libérateur. Ici, point de salut. Une tragédie grecque, et sans dieux.
Et qui n’aura pas fait attention à cette musique ? Sublime. Un des éléments majeurs du film. J’ai bien fait attention, j’ai fait exprès. Je voulais savoir pourquoi James Stewart, qui suit Kim Novak, pourquoi ça fonctionne, à ce point ? Les ¾ du temps au volant de sa voiture, à la surveiller…la musique.


Cachée derrière la montagne, mais grandiose. La musique. Et ce n’est pas ce célèbre plan-raccord parfait, son/lumière : Percussions/baiser fougueux/vagues qui s’écrasent sur les rochers, dans le même mouvement, qui me fera mentir. Wow ! Le plan parfait. Et peu à peu, la ville se referme sur lui, et autour de nous. Pauvre Scottie. Ville bizarre, faîte de montées et descentes, de crevasses, un volcan éteint.


Scottie semble être dans un espace purement mental, clos, qui rassemble toutes ses phobies, toutes ses peurs, et il projette son mal sur un talisman de chair et de sang. Une femme blonde. « La perfection », la poupée parfaite. Peut-être que nous sommes en train de rêver comme lui. Ça ressemble à un rêve. Trop sfumateux pour être vrai, ce film. On est couché dans de la gaze, voyeurs assis, comme lui. On tourne en rond autour de l’objet du désir. Un rêve. Nous sommes aussi voyeurs privilégiés. Collé à l’objet, emporté par la spirale de ce chignon blond vertigineux. Vertigo. Le voyeur qui se cache en chacun de nous est satisfait du spectacle.


Son amie de toujours, Betty, attend son heure, sa chance, mais elle comprend qu’elle n’a aucune chance. Il est amoureux. Fou.
Le romantisme hitchcockien à son point ultime, qui l’emporte sur le suspense. Le maître du suspense, fait son film romantique funèbre, et le thriller revient soudain comme un voleur ! Voleur qui sort de sa boîte tel un diable. Le diable c'est un magnifique flashback, qui dévoile tout, et ne dit rien en même temps. On continue jusqu’au bout, et le coup de tocsin final. Echec et mat. Orphée a encore perdu. Ce film c’est une réunion de talents, pour une œuvre d’art à part entière. Entre peinture, séquence animée (dessin animé), musique, et invention technique : Le fameux zoom avant/arrière, inventé spécialement pour l’occasion. Effet qui donne cette sensation de vertige de façon artisanale, mais diablement efficace. Beaucoup de science. Un vertige optique, et une originalité monstre. Résolution d’un mythe, recontextualisé dans le moment présent. Eurydice peut reposer en paix. Scottie/Orfée a perdu. La boucle se referme sur elle-même, inexorablement. Mais il n’a pas tout perdu. Il est enfin guéri du vertige.


J’ai pas vu tous les Hichckock, mais celui-ci n’est pas loin d’être le meilleur. Scénario machiavélique. Meurtre, résurrection, accident, manipulation, puis coup du sort. Diablo in machina. Meilleur film de tous les temps, je sais pas. Mais chef-d’œuvre, oui. À voir, et à avoir.
Comment guérir de l’acrophobie.
Et retenir la leçon.

Angie_Eklespri
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films d'Alfred Hitchcock

Créée

le 27 janv. 2017

Critique lue 240 fois

2 j'aime

3 commentaires

Angie_Eklespri

Écrit par

Critique lue 240 fois

2
3

D'autres avis sur Sueurs froides

Sueurs froides
Hélice
10

Madeleines proustiennes

Hitchcock grand lecteur de Proust? J'ignorais. Et pourtant, à (re)voir Vertigo, je m'émerveille devant ce fil solide enchaînant un film à suspense (tout comme la Recherche est à bien des égards un...

le 26 juil. 2011

134 j'aime

18

Sueurs froides
guyness
7

Comment je me suis réconcilié (ma vie artistique)

Nous trainons tous deux ou trois boulets sur le site. Des tares honteuses et presque inavouables. Le fait de détester les Inconnus (à travers leur télé, ma critique la plus haïe ici, avec un ratio...

le 31 janv. 2014

101 j'aime

102

Sueurs froides
Krokodebil
10

Variations troubles sur un homme tourmenté

Probablement le meilleur film du grand Alfred. Il y pousse à leur paroxysme toutes ses névroses, ses fétichismes et ses perversions. Le scénario même du film épouse ses états d'âme et la mise en...

le 3 janv. 2013

83 j'aime

8

Du même critique

Fargo
Angie_Eklespri
4

On peut aimer Fargo, le film. On peut ne pas aimer Fargo, la série

   Un peu lourd…pas très subtil. Faire d’un film culte, une série, c’est pas facile. C’est même risqué. Ça peut devenir vite casse gueule. La série elle-même, est produite par les...

le 11 nov. 2015

22 j'aime

31

Ella and Louis
Angie_Eklespri
10

Ella et Louis

Si vous voulez le disque suprême à écouter à deux, ne cherchez pas plus loin. A deux ou tout seul, ça marche aussi, ça fait voyager. Rien que des ballades, de qualité supérieure, vocalement on a des...

le 23 déc. 2014

21 j'aime

1

Caligula
Angie_Eklespri
8

Caligula et Drusilla font un porno

J’en suis encore à me frotter les yeux, en me demandant comment un truc pareil à pu passer toutes les barrières de la censure. Ce film à les qualités de ses défauts, ce qui est assez rare, force est...

le 27 sept. 2014

16 j'aime