Excuse et piège d'une extrême jeunesse et beauté

(Quelques spoils)

Paula Beer est merveilleuse dans le film... sauf qu'elle a vingt-huit ans et que Stella Goldschlag, la jeune Berlinoise juive qu'elle personnifie, en a juste seize, lorsque s'ouvre le biopic que Kilian Riedhof lui consacre : on est alors en 1938 et ses parents, pourtant déterminés à quitter l'Allemagne nazi, ne parviennent pas à obtenir les visas nécessaires pour leur fille et eux.

Comme Stella emprunte les traits de Paula Beer, le spectateur ne prend pas vraiment conscience que la très charmante jeune femme qu'on voit à l'écran durant la première demi-heure du film n'a que dix-sept ans quand débute la Seconde Guerre mondiale... Extrême jeunesse qui sûrement explique certains "errements" de la jeune fille d'alors, s'ils ont vraiment eu lieu (je fais référence aux quelques "passes" que certains lui attribuent dès cette époque).

Si en Allemagne, tout le monde a, j'imagine, entendu parler de Stella Goldschlag (née en 1922, morte en 1994), c'est beaucoup moins vrai en France. Pour ma part, j'ignorais tout d'elle avant de voir le film, et pendant une bonne heure (la moitié du métrage), je n'ai vu en elle qu'une jeune beauté blonde aux yeux bleus, sympathique, jolie, douée (en 1940, à dix-huit ans, elle est la chanteuse quasi célèbre d'un jazz band judéo-berlinois qui espère encore pouvoir se produire à Hollywood, alors que des lois nazies discriminent déjà les Juifs de Berlin et de toute l'Allemagne). Stella est la fille unique et chérie de parents juifs bien intégrés dans la bourgeoisie berlinoise ; son biopic nous la montre moderne, évoluée, audacieuse : jeune, donc avide de vivre, de profiter de son exceptionnelle beauté, bref : de réussir.

Et puis nous voilà en 1943, l'ambiance berlinoise s'est très assombrie. Le jour, Stella porte l'étoile jaune, comme ses parents et son jeune mari (Manfred Kübler, un clarinettiste du jazz band) ; mais la nuit, elle retire son étoile et abandonnant Manfred dans leur appartement, elle sort et profite du Berlin nazi de l'époque, avec pour laissez-passer : sa beauté, sa blondeur et ses yeux bleus. Au printemps 43, elle et sa mère échappent de peu à une rafle anti-juive brutalement effectuée dans l'usine d'armement où elles travaillent ; Manfred, lui, est raflé et déporté à Auschwitz. Stella mène alors une vie plus ou moins clandestine avec un jeune homme de rencontre, très séduisant et "expéditif" (Rolf Isaakson / Jannis Niehwöhner). Devenu son "fiancé", Rolf l'entraîne toujours plus dans une vie aventureuse, pleine de risques. En septembre de la même année, dénoncés comme Juifs par une ancienne copine du groupe de jazz, les deux amants sont arrêtés par la Gestapo. Stella est torturée, réussit à s'échapper, est réarrêtée avec ses parents et les voilà "programmés" pour une déportation à Auschwitz (dont ils savent qu'on ne revient pas vivant).

Et c'est là que Stella cède au chantage des SS et accepte l'inacceptacle : jouer les délatrices, dénoncer tous les Juifs berlinois qu'elle connaît, rencontre, croise et identifie ; cela, pour s'éviter Auschwitz et l'éviter à ses parents. Elle s'enfonce alors dans le mal. Quoi de plus abject que de dénoncer les siens et les envoyer vers les camps de la mort ? Même après le départ de ses parents pour le camp de Theresienstadt (mais ils mourront finalement à Auschwitz), elle continue à jouer les dénonciatrices pour sauver sa peau. Elle fait alors preuve d'un zèle incroyable dans la délation. Entre septembre 1943 et mars 1945 (presque jusqu'à l'effondrement du Troisième Reich), la jeune femme (elle a maintenant 21-23 ans) repère, aborde, dénonce, détrousse, fait arrêter et déporter vers les "camps de la mort" entre six-cents et, dit-on, trois mille Juifs berlinois.

Tout cela avec la complicité de Rolf Isaakson qui, à la Libération, réussira à s'évanouir dans la nature (pour combien de temps ?).

En 1945, Stella Goldschlag purge dix ans de réclusion dans les geôles soviétiques. Revenue en Allemagne de l'Ouest et rejugée pour ses actes, la Justice l'en tient définitivement quitte en 1957 et la libère, au grand dam des familles de ceux qu'elle avait fait déporter. Stella mettra fin à ses jours en 1994.

Retraçant sa tragique et effrayante histoire, Killian Riedhof nous plonge dans le Berlin des années 39-45. C'est une reconstitution parfois clairement romancée (bien que s'appuyant sur une solide documentation), mais ce Berlin-là est quand même passionnant à voir. Et la personnalité énigmatique de la "poison blonde" (comme Stella Goldschlag fut surnommée par les familles des Juifs déportés) est tout à fait fascinante. Paula Beer fait le maximum pour la faire revivre à nos yeux dans toute sa complexité, au cours de son avancée en âge. Et dans ce rôle très lourd, elle est belle, vive, intelligente ; elle charme, irradie, a un charisme fou. Néanmoins, je persiste à penser qu'une actrice plus jeune, disons de 20-22 ans (et donc dans toute l'irresponsabilité et inconscience de la jeunesse), aurait mieux fait comprendre la volonté et frénésie de vivre à tout prix de celle considérée par beaucoup, lors de son procès en 1957, comme un monstre, puisque responsable in fine de tant de morts.

Ce qui interroge chez cette anti-héroïne, c'est le zèle dont elle fit preuve dans la délation, comme si elle prenait alors un sombre plaisir à trahir les siens. Était-ce pour elle — parce que blonde aux yeux bleus, d'une beauté angélique et n'ayant pas du tout le "type juif" — une façon de renier cette part d'elle-même, sa judaïté, qu'elle n'acceptait pas ou plus, et dont elle cherchait à se dédouaner ? Mystère !... qu'elle a emporté avec elle, mais que l'opus de Killian Riedhof nous permet d'approcher d'un peu plus près.

Fleming
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le 23 janv. 2024

Modifiée

le 25 janv. 2024

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