Le dormeur ne s'est pas réveillé
Note : cette critique révèle des éléments et des scènes du film.
Alors que tout le monde ne parle que du dernier opus de Radiohead, Stalker a subi l'examen intransigeant de Raf et al.*
La tentation est grande de rapprocher le quintet et le long-long-métrage : aura exagérée, vacuité du spectacle et intellectualisme douteux occupent tout l'espace sonore et visuelle.
Néanmoins cette unité dans le résultat ne saurait être étendue aux causes, différentes dans les 2 cas. Oublions donc le meilleur argument en faveur de l'euthanasie, i.e. tête de radio après les avoir remercier de nourrir le troll.
Stalker est un film soviétique. Cette origine explique bien des aspects du métrage sans pour autant relativiser sa faiblesse. Adaptation très libre d'un roman des frères Strougatski, Stalker appartient au genre du fantastique mais ne se cantonne pas à cette étiquette réductrice. Dans l'URSS, une zone, la Zone, a été interdite au public. Dangereuse mais riche de promesses la Zone sort de la réalité admise par l'homme. Quelques-uns, par appât du gain ou spiritisme, sont devenus des guides, les stalkers. L'un d'entre eux a deux clients aujourd'hui.
Stalker parvient l'incroyable numéro d'équilibriste de faire se côtoyer le ridicule et le génie au court d'un film mathusalemien.
Coté face, la prise de vue tient de la perfection formelle. Stalker abuse des travellings lents avec brio, l'objectif exploite à merveille son décor, ses angles morts, ses perspectives. Exemple. Nos trois hommes progressent à travers un champ humide, la caméra s'avance lentement à travers une voiture rongée par les mousses et révèle à travers les herbes grasses un cimetière de blindés.
Mais l'œil n'est rien sans son paysage. La Zone est l'avatar ultime d'un monde post-apocalyptique, la décrépitude soviétique parfaite. Ces environs bruns et tristes sont dominés par l'inquiétante cheminée d'une centrale nucléaire, la ville décrépie abandonnée aux eaux stagnantes.
La Zone elle-même est le territoire d'une nature revancharde. Rarement l'humidité n'aura été aussi omniprésente à l'écran. L'eau, dans son costume le plus sale a envahi chaque parcelle du terrain et laisse au fond de ses nappes la rouille et la pourriture ronger la trace de l'homme.
Coté pile, l'exécution de certaines scènes du film laisse dubitatif par tant d'amateurisme. Pour exemple, cette infiltration en 4x4 aux abords de la Zone plonge la tête la première dans le grotesque. Le trio pénètre dans la Zone en faisant plusieurs fois le tour d'un même hangar dans un vacarme inaudible par les pathétiques forces de sécurité. Le nanar est bien là.
Point noir, la simulation des dangers de la Zone touche au summum du film fauché, doublée sans doute d'un parti pris artistique peu convaincant. Même le grand Ed Wood n'en était pas arrivé à ce genre d'extrémités. L'intégralité des menaces de la Zone reposent dans les affirmations angoissées du stalker. L'acte de foi exigé de la part spectateur est trop fort. Au mieux pensera-t-il que le stalker est un pauvre fou, mais que deviennent alors les deux idiots qui le suivent par mont et par vaux ? Non, le danger ne perce jamais, c'est l'œil goguenard que nous admirons cette fine équipe affronter des taillis, des herbes folles et des flaques d'eau. La randonnée des petits écoliers en somme.
Au dessus de ces considérations esthétiques plane une particularité difficile à appréhender. Dans un élan de facilité assumé, je la nommerai l'âme slave. Le film, tout comme ses personnages, arbore une gravité exacerbée. Philosophie et condition humaine sont les sujets de bistrots favoris du comptoir Stalker, toujours sur la corde raide. Une sombre histoire de triangle caressera périlleusement les rivages nanars du karma tandis que le duel assoupi d'un homme de lettre et d'un homme de science touchera au sublime.
Un film exigeant, bien trop exigeant. Le plaisir est bien mince dans cette traversée de la mangrove soviétique, dénuée de rythme mais superbement filmée. Sur quel pied danser face au grotesque et au sublime réunis ? Tel Salomon dans sa grande sagesse, je coupe la poire en deux.
TLDR :
Imaginer Sofia Coppola, plus torturée, plus molle, et plus talentueuse.
* Raf, Maxdegats, Fabtx et Biomol