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Le film m'a donné l'illusion de partir à la conquête d'une pellicule oubliée pendant 40 ans (merci Mubi !) et d'un morceau d'Ohio que je ne serais pas parvenu à imaginer. Ce sont en définitive ses espaces troublés et sa facture amateure qui m'ont fait apprécier ce film.


Le film pourrait être le prolongement d'une mésentente classique entre un père et un fils doublée d'une histoire d'amour. Père en charge d'une famille qu'il ne parvient pas à maintenir unie, tandis que cette famille et sa ribambelle de gamins se maintient d'elle-même par des fils d'illusion. Fils qui ne fait plus secret de sa révolte flegmatique et sans conséquence face à une autorité dépassée et peu crédible. Lorsque Carl prend au sérieux son insouciance et quitte un repas de famille pour aller jeter un œil bref sur le dos nu de sa demi-sœur Jessie prenant un bain, le scénario suit une voie autrement plus audacieuse.


Le décor pose brillamment l'intrigue : une Amérique blanche et rurale, dotée d'un fort accent, qui se dévoile doucement dans un mélange de clarté réaliste et de flou des décors. Flou visuel, avec sa caméra mobile, aux cadrages parfois peu bavards, aux focales changeantes, ses obstacles à la vue, une exhaustivité qui se perd à chaque mouvement un peu audacieux. Flou sonore, avec ses nombreux parasites, bruits de la nature, bruits de moteur, bruits de la foule, et silences tout aussi écrasants qui couvrent certains dialogues. Flou dans la vie des personnages enfin, avec une paternité incertaine, des non-dits, des épisodes tus. Un territoire déjà un peu nostalgique, mais pas passéiste. La ville de Canaan n'est pas une terre promise. Ses mines ont fermé, les habitants les regrettent sans pathos et se perdent dans le présent pour tromper l'ennui, dans les fêtes ou les nombreux verres d'alcool qui coulent à l'écran. La modernité, avec ses mythes, s'invitent néanmoins dans ce coin de pays, avec la télévision, les bikinis et les distributeurs Coca-Cola.


Au milieu de ce tableau, on découvre la trame inquiète d'une histoire d'amour entre Carl et sa demi-sœur Jessie au cours d'une fête. Carl manque de frapper un rival, rattrape Jessie en voiture et la force à y grimper. Une contre-plongée discrète, nocturne, en pleine nature, montre Carl en train de remonter son pantalon et Jessie quitter l'arrière-plan. Après une ellipse de cinq mois, Carl revient en ville et découvre Jessie enceinte, harcelée par le père qui lui cherche un mari.


Le secret de l'inceste s'est perdu dans un passé inaccessible. Aussi inaccessible que le passé de Carl, qui fait visiter la maison en ruine de son grand-père à Jessie en désignant des souvenirs poussiéreux, de la mère, qui se remémore les beaux jours californiens loin du bled américain, ou de la ville, qui compare ses vingt-trois bars d'antan avec le seul encore ouvert, ce bar où l'on se souvient soudainement avoir manqué une opportunité vingt ans plus tôt. Car le passé pourrait délivrer les amants du tragique de l'inceste en levant le doute sur la paternité de Jessie, si seulement la mère pouvait, elle aussi, livrer le secret de ses amours floues.


Voilà sans doute quelle incertitude les organes de censure n'ont pas tolérée : une incertitude sur l'inceste aussi peu flatteuse que la représentation sans joie ni peine de cette campagne-ci. Mais je rendrais grâce au réalisateur d'avoir exploré un territoire déchargé de poncifs et d'évidences. Car sous ces artifices et mythes auxquels on feint de croire se cache une réalité inavouable, fluide, et, pourrait-on dire, libre et poétique.

MuxSnaj
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le 18 sept. 2018

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