Légère entorse à la règle. Kathleen Kennedy rompt temporairement sa promesse de ne lancer des films indépendants dérivés de l'univers Star Wars qu'à partir de sujets originaux pour consacrer son deuxième spin-off à la jeunesse de Han Solo. Les fans ayant dû dire au revoir au contrebandier dans l'Épisode VII, la démarche commerciale n'est pas bête bien qu'extrêmement risquée. Peu de personnes sont prêtes à accepter que le gentil vaurien ait un autre visage et préfèrent garder une zone d'ombre sur son passé.


Un regain de confiance inespéré apparaît quand sont annoncés à la direction du projet Phil Lord et Chris Miller, créateurs de La Grande Aventure Lego et de la duologie 21 Jump Street. Problème, les réalisateurs spécialisés dans la comédie ne vont pas être sur la même longue d'onde que leur big boss et vont prendre des libertés importantes avec le script. Lawrence Kasdan, véritable autocrate s'étant approprié les fétiches de la Trilogie Originale, rapporte son mécontentement auprès de Lucasfilm qui licencient de suite le duo à mois d'un an de la sortie en salles et alors que les 3/4 du film ont été tournés.


Difficile de démêler le vrai du faux dans cette affaire entre la mauvaise entente sur le plateau et le recrutement express d'un coach pour diriger la tête d'affiche. Toutes les sources se contredisent, y compris sur le poids de Ron Howard pour le montage final, ce dernier affirmant qu'il a filmé entre 70 et 80% de ce qui est à l'écran alors que d'autres informations assurent qu'il ne reste rien du travail de Lord et Miller. Ce qui devait être une opération facilement rentable (un budget d'une centaine de millions de $ à l'origine) se transforme en un doublement des dépenses et un retard marketing dangereux. Le choix du remplaçant s'avérera logique, la carrière de Ron Howard ça a beau être les montagnes russes, il est un vieux de la vieille et avait déjà été sur la liste des favoris de George Lucas pour La Menace Fantôme. Il connaît donc bien cet imaginaire et est réputé pour exécuter les commandes sans encombres.


Les conséquences des reshoots ne se font pas attendre. En dehors d'une attaque de train très bien fichue et résolument moderne où la caméra suit efficacement les mouvements des acteurs lors des combats au-corps-à-corps, la spatialisation devient de plus en plus rikiki au fil des 2h15 d'action non-stop jusqu'à rétrécir l'espace à des salles, des couloirs et des terrains embrumés. Pratique pour économiser, moins pour nous transporter. La variété géographique ne se ressent pas, l'esthétique étant inexplicablement massacrée par Bradford Young qui obscurcit à l'excès chaque plan. De jour comme de nuit, en intérieur comme en extérieur, on peine souvent à reconnaître qui parle à qui ou qui fait quoi


(la révolte dans les Mines de Kessel).


Parfois, cela se justifie comme lors du service militaire de Han (dont on nous épargne les 3 années passées dans les rangs impériaux alors qu'elles sont très importantes pour son acheminement psychologique) mais la plupart du temps, ça fait seulement très mal aux yeux. Je n'ose imaginer la torture que cela doit être en 3D.


Le film assume pourtant son statut d'histoire plus petite, l'Empire est relégué au second plan, la Rébellion est à l'époque naissante et brièvement évoquée et les enjeux, matériels et humains, sont mineurs. Tout un pan de la mythologie que nous n'avions exploré qu'en surface est au centre du récit, à savoir les guerres entre organisations criminelles, mais le manque de temps et d'argent rattrape toujours Solo


(le vol raté du carburant, le marché avec Dryden Vos et la rencontre avec Lando se font à des distances minuscules sans qu'on puisse capter le temps écoulé ou la longueur du trajet)


jusque dans son dernier acte où le grand méchant voit ses hommes être réduits à une dizaine de figurants. Triste résultat pour un seigneur dont on nous vante la puissance depuis le début.


Un soupçon d'exaltation arrive parfois à immerger dans les deux premiers tiers (l'arrivée de Chewbacca est particulièrement réussie, le Wookie ne parviendra malheureusement pas à briller par la suite) puis s'efface lentement avant de dériver vers un final à soupirer d'ennui. Incomplet, décevant, le pompon est atteint avec


le caméo-surprise de Dark Maul, revenu d'entre les morts depuis The Clone Wars et que les producteurs ont le culot d'utiliser comme cliffhanger pour ordonner aux fans de regarder 2 séries afin de comprendre comment il a pu survivre (11 saisons alors qu'il n'est là que dans 9 ou 10 épisodes) et pour peut-être lancer une suite, même ceux suivant l'Univers Entendu ne pouvant comprendre comment il a pu arriver à la tête de l'Aube Écarlate après avoir été fait prisonnier par l'Empereur. Et même là, c'est stupide, le personnage mourant définitivement dans Star Wars : Rebels.


Le fan-service était plutôt bien géré (le thème de l'Empire de l'Épisode IV, la référence à Aurra Sing) avant ce twist ridicule.


On a du mal à croire que Kasdan et son fiston ont attendu aussi longtemps pour laisser une fin ouverte comme celle-ci.


Faire mourir Qi'ra


aurait enterré pour de bon la facette rêveuse de notre héros et annoncer directement le hors-la-loi que le spectateur découvrira dans la cantina de Mos Eisley. On attend ce moment magique où un Han maussade, se retrouvant aussi seul qu'à ses débuts avec son monde détruit, tourne son regard et constate que dans tout ça, il a gagné un compagnon inséparable en la personne de Chewbacca. Une scène comme celle-ci tendait les bras pour que les scénaristes la saisissent.


Seul rescapé de la production bordélique, John Powell, qui s'est visiblement bien amusé. Le compositeur trouve l'inspiration nécessaire pour sortir des standards musicaux de la saga et signe des partitions très réussies aux sonorités parfois surprenantes pour un Star Wars. Il a également la chance d'être épaulé par un Main Theme créé spécialement par la légende vivante John Williams.


Bilan des courses, ni honteux, ni réussi, Solo : A Star Wars Story s'apparente à un luxueux pilote de série télé qui n'a d'intéressant que les grandes lignes de son scénario et quelques séquences à sauver dans un gros tas pas désagréable mais sans réelle saveur. La catastrophe prédite par les détracteurs des SW next-gen et par la presse n'a pas eu lieu mais il en faudra bien plus pour convaincre la communauté de continuer à faire confiance à une présidente qui n'a pas la moindre idée de ce qu'elle fait avec l'univers de George Lucas.

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le 23 mai 2018

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Walter-Mouse

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