C'est magistral.
Et je me suis souvent demander si ça ne l'était pas un peu trop. Je me suis posé la question de savoir si ce film n'était pas finalement un peu écrasant - avec ses plans qui font toujours sens, cette trame narrative très corsetée, ce découpage très sophistiqué.
Mais Ostlund déjoue totalement le risque de la maîtrise et du contrôle. Parce qu'il trouve dans l'histoire qu'il raconte une certaine incongruité, un mystère, ce petit quelque chose qui décroche le rire, l'émotion de la scène. Je suis ému par ce vrai-faux-étau que le film dessine autour de ses personnages. Il les enferme, mais en même temps, il y a une ouverture sur le monde, sur l'espace. J'ai également eu cette réflexion : Ostlund ne mépriserait-il pas un peu ses personnages ? Je me suis vite rendu compte d'une chose : s'il les méprisait, il ne les filmerait pas aussi bien. Et surtout, en sortant, j'avais cette impression là : que j'adorais ces personnages, que j'adorais les voir se débattre avec le film qui les contient. Parce que Snow therapy dessine toujours une alternative à ce regard satirique et acerbe qu'il leur tend. Il y a autre chose. Un mystère, impalpable, qui vient de rien ou des espaces. Il y a les montagnes, les téléskis, la nuit, la surprise des plans - toujours saisi par cette image du petit objet volant qui trouble la longue conversation psychologique au centre du film, par exemple. Le film montre des personnages qui sont en lutte contre leur instinct, essayent de retrouver la maîtrise (sur leur vie, sur eux-mêmes, sur leur relation avec les autres). La femme qui met l'homme en face de sa masculinité. A quoi tient-elle ? Le film se pose la question. La maîtrise s'est effondrée, avec la neige au loin. Le film montre ces personnages qui cherchent, mais il est lui-même toute autre chose, et c'est le contraire qui justement l’intéresse, c'est l'absence de maîtrise, c'est l'errance. D'un couple qui se disloque, par exemple on passe à un autre, parce qu'une question leur est aussi posée, et on observe. Très simplement. Le film va vers une mise à plat, vers ce dérangement de ce qui va de soit, vers ses personnages et leur humanité. Vers l'instinct, donc. Filmer les espaces, et regarder ce qui s'y passe. Filmer le blanc de la neige, des enfants qui attendent, un mari qui va bientôt pleurer. Le dérèglement. Le glissement. Impitoyable, parce qu'il refuse longuement à ses personnages le doit "d'éteindre la lampe et d'en parler demain". Non, à un moment, il faut en parler. Il faut filmer ça. Il s'est passé quelque chose, le film doit s'y confronter. C'est aussi une manière de les aimer : on les force à lutter, à se réveiller, à se remettre en question, à redistribuer les cartes.
La fin est d'abord un peu décevante, parce qu'on a l'impression que tout revient comme avant. Mais non : le père demande une cigarette, devant son fils, et par ce geste, il lui avoue qu'il fume, qu'il a besoin de fumer, qu'il ne contrôle pas tout. Femmes et hommes avancent dans le mystère d'une route, côtes à côtes. Les hommes ne sont plus devant. Et pourtant, c'est le père qu'on voit, cigarette à la main. Pour la première fois, il semble être à sa place dans le plan, parce qu'il ne maîtrise plus.
Dans ce génial déluge, il reste bien sûr encore des choses un peu trop symboliques, un surplus de sens parfois, malgré la volonté d'épure. C'est typique du cinéma de l'Est. Mais je pense qu'avec le temps et les films, cet instinct, c'est ce vers quoi ira le cinéma de Ruben Ostlund, et je m'en réjouis d'avance.
B-Lyndon
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le 6 févr. 2015

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