L’impression que laisse la franchise James Bond est un peu étrange : un classique, certes, mais la saga n’a jamais été réellement passionnante – les rares très bons films de la saga sont un peu répartis à toutes les époques : de Goldfinger à Permis de tuer. L’arrivée de Daniel Craig avec Casino Royale relançait complètement la saga : moins manichéen, plus futé, et en cohésion avec son temps. Sa suite, Quantum of Solace, était certes bien décevante mais restait un divertissement de qualité quoi qu’on en dise. On attendait donc Skyfall avec pas mal d’impatience – c’était tout ou rien. Au final, il faut reconnaître à Sam Mendes qu’il se rapproche presque exclusivement du tout – Skyfall, en plus d’être le film de l’année, est le James Bond ultime qu’on attendait.


La première scène et surtout sa conclusion mettent dans l’ambiance : dans ce film on peut s’attendre à tout. Sans pour autant renier son passé (le thème musical de John Barry n’avait pas été autant utilisé depuis au moins dix films, ainsi que quelques références bien troussés aux volets avec Sean Connery), Skyfall s’inscrit totalement dans son temps : violent, psychologique, terriblement bien écrit et mis en scène, on pense parfois à du Nolan mais c’est plus que ça. Mendes, et son scénariste, et ses producteurs, ont bien compris que désormais, pour qu’un blockbuster soit acclamé, il fallait qu’il y ait un fond, une réelle originalité qui le démarque de tous les autres. James Bond était jusqu’alors un simple robot – amateur de femmes et de voitures, véritable machine à tuer. Ce vingt-troisième tome l’explore plus en profondeur, puisque la grande nouveauté ici est l’exploration de son passé – le tout est superbement écrit et la scène finale qui en découle est un grand moment de cinéma : stressant, grandiose, fascinante. Les décors et la fabuleuse construction des plans finissent d’achever le plaisir de nos pupilles, jamais un James Bond n’a été aussi beau, aussi sublimé par un tel talent de mise en abyme et de construction de scènes d’actions. L’homme à l’origine de cette magnificence a d’ailleurs travaillé avec les Coen, sur Fargo ou sur No Country For Old Men.


Sans parler des acteurs. Outre Daniel Craig qui n’a jamais été aussi convaincant dans ce rôle, et qui est bien aidé par l’histoire tournant autour de son personnage, le reste du cast s’en sort à merveille. Judi Dench, dont le personnage de M prend ici une importance capitale, est excellente de bout en bout, notamment dans la dernière demi-heure. Javier Bardem, dans un rôle qui n’est sans rappeler celui de No Country For Old Men (tiens, deux fois qu’on en parle), mais qui est pourtant différent. Car jamais un méchant d’un James Bond n’a fait peur, n’a menacé, n’a été aussi distant du manichéisme habituel – fini les bad guy à deux balles qui n’ont pour objectif que l’argent ou le pouvoir. Ici c’est plus profond, et on obtient un méchant plus profond qu’en apparence, aux motifs graves et terrifiants. Javier Bardem est incroyable et chacune de ses apparitions est à la fois terrifiante et exaltante. Finissons ceci sur Ralph Fiennes, qu’on prend comme à l’accoutumée un grand plaisir à voir à l’écran. Le retour de Q est lui aussi bien amené, et apporte la mini-dose de fraicheur et de jeunesse dans cette terrifiante fable sur le vieillissement.


Car finalement, ce James Bond est à double tenant – plus qu’un simple blockbuster d’action, le film prend une tournure plus profonde, presque plus désespérée, sous les traits de ce James Bond vieillissant, rappelant sans conteste la position réelle de la saga qui doit aujourd’hui affronter Jason Bourne et autres et autres Mission : Impossible. Pourtant, alors que la fin du film est finalement terriblement grave, le tout est lui optimiste : rien ne pourra surpasser ce James Bond là – qui, d’une certaine façon comme l’a fait GoldenEye il y a vingt ans, vit avec son temps. Là où les blockbuster branché Nolan ou Snyder font rage, on est ici face à un film qui, plus qu’un James Bond de plus, est un peu ce James Bond qu’on attendait, ce chef d’œuvre non pas final mais renouveau d’une saga qu’on croyait morte et enterrée face à la concurrence.


Si le retour sur le passé de Bond y est pour beaucoup dans la réussite du scénario – il faut aussi signifier la beauté avec laquelle la relation entre M et Bond est développé, ainsi que toute l’intrigue autour de « l’affaire » qui est le centre du récit. L’écriture du personnage de Javier Bardem est elle aussi un grand coup, et on ne peut qu’avouer que la scène du verre dans la ville dévastée restera elle aussi un grand moment du film, tout comme l’est la scène finale de vingt minutes dans les magnifiques paysages d’Ecosse.


Le générique de début, absolument superbe, sublimé par le thème du film signé Adèle, sans oublier le respect total de l’œuvre qui l’a précédé, tant de petits détails qui font que ce Bond ci restera dans les mémoires. Skyfall n’est pas seulement le meilleur film de la saga, c’est aussi son nouveau démarrage – dans la continuité totale du travail accompli il y a maintenant six ans sur Casino Royale. Chef d’œuvre ? Oui. On est face à un monument en devenir, un film majeur qui marquera l’espionnage, et sans doute le cinéma d’une façon durable tant il est parfait en tout point – inquiétant quand il le faut, romantique aussi, nostalgique, dramatique, tragique, mais aussi divertissant, intelligent, complexe, tout en restant ce qu’il est : un James Bond.

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le 15 oct. 2013

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Vivienn

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