« […] Aux âmes bien nées, / La valeur n’attend point le nombre des années » (Corneille)… Simon Panay, tout jeune réalisateur qui fêtera son trentième anniversaire le 29 avril 2023, enfant de la riante Bourgogne, mais qui a déjà vécu longuement en Afrique et qui compte quatre courts ou moyens-métrages à son actif, s’intéresse depuis plusieurs années aux problèmes liés à l’exploitation des mines sur ce continent, ainsi qu’en témoigne « Ici, personne ne meurt » (2016), affirmation éponyme contredite, on s’en doute bien, par la réalité.

 Il s’attache cette fois aux pas d’Opio, jeune garçon de treize ans, cinégénique en diable, et déterminé autant que pourrait l’être un héros de fiction. Ce pré-adolescent du Burkina Faso, dont le père a pris une seconde femme, s’est de lui-même mis en quête d’un travail, afin de pouvoir contribuer à nourrir les bouches toujours plus nombreuses de sa famille. Le choix fut vite fait : la mine d’or de Perkoa, mine locale et légale mais artisanale, et dans laquelle ce que l’Occident nomme « les conditions de sécurité » sont loin d’être respectées, d’où des accidents réguliers ; et des morts.

Le tournage, étalé sur deux ans, cueille Opio Bruno Bado à un moment crucial. Alors que le garçon travaillait au treuil manuel qui remonte les hommes de la mine, son père, soucieux de son avenir, voudrait le pousser à reprendre des études, afin d’acquérir une formation lui permettant d’échapper à sa condition. Mais seul l’enfant serait à même d’espérer financer le prix exorbitant demandé. Jusqu’alors payé en sacs de cailloux supposés, mais supposés seulement, contenir de l’or, il lui faut monter en grade et obtenir le droit de s’enfoncer dans la mine, malgré les réticences et les craintes, pourtant justifiées, de sa mère.

Avec Simon Panay non seulement à la réalisation mais aussi au scénario, à l’image et au montage, où Thomas Marchand le seconde, le documentaire dévoile les conditions d’exploitation de ces mines à demi sauvages, sans pour autant lâcher le charismatique Opio, qu’il accompagne au plus près, dans ses démarches, ses négociations, son travail au fond de la mine, ses échanges plutôt figés avec sa famille d’origine, et ses conversations chaleureuses avec la famille de labeur qu’il semble s’être constituée autour des puits qui constellent le sol comme autant de cratères sans fond.

S’inscrivant d’entrée de jeu dans la grande famille des documentaristes proposant une réelle écriture cinématographique, Simon Panay capte ses spectateurs, avec un jeu intéressant sur la profondeur de champ dans le suivi d’une conversation, comme si le regard se posait alternativement sur l’un ou l’autre personnage ; et surtout avec un zoom avant saisissant, s’enfonçant silencieusement et interminablement, à la verticale, dans les entrailles de cette terre où les mineurs continuent de creuser à deux cent cinquante mètres de profondeur ; zoom enchaînant sans transition, depuis la surface du sol retrouvée, avec un zoom arrière nous entraînant dans les hauteurs et nous permettant de découvrir un territoire aussi grêlé de « trous » qu’un champ de bataille. Souleymane Drabo, au son, recueille à la perfection les différentes ambiances, extérieures, avec toute une agitation bruissante de vie, et intérieures, lorsque le fond de la terre semble étouffer de sa matité sourde tout son, toute vie, tout drame…

Entièrement rapté sur cette terre et auprès de ces visages filmés le plus possible en lumière naturelle, le spectateur ressort de la projection à la fois édifié, instruit, et se prenant d’aversion, à la fois pour l’or, si chèrement et amèrement extrait, et pour les maudits cailloux trompeurs qu’il aura vu concassés avec un espoir frémissant tout au long film, mais ne délivrant chichement, et au mieux, que quelques milligrammes d’un pauvre or systématiquement sous-évalué par les acheteurs.

AnneSchneider
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le 22 janv. 2023

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Anne Schneider

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