George est un coureur de jupons. Il travaille dans un salon de coiffure, mais passe le plus clair de son temps à flirter avec ses clientes au lieu de s’occuper de leur look. Dans l’une des séquences les plus comiques de Shampoo, on l’aperçoit sécher les cheveux d’une jeune femme dans une posture équivoque laissant penser à… une fellation. Avec sa moto, son blouson de cuir, ses cheveux longs, ses lunettes de soleil et son air je-m’en-foutiste, on pourrait le confondre avec un commis de la contre-culture. Le temps diégétique nous renvoie d’ailleurs en 1968, un an à peine avant que Woodstock n’écrive les pages les plus folles du flower power. Ne prend-on pas d’ailleurs George pour un « hippie » à la banque ? Et même pour un « anticapitaliste » plus tard ?


Le héros d’Hal Ashby est surtout un jouisseur rêvant de liberté. Dans une séquence particulièrement réussie, il va quémander un prêt à son banquier. Quand ce dernier lui demande ses références, il lui lâche le nom d’une star qu’il lui est arrivé de coiffer. Est-ce qu’un révolutionnaire pacifiste irait supplier un type en costume de lui fournir les fonds nécessaires à l’ouverture de son propre salon de coiffure ? Warren Beatty, puisque c’est de lui qu’il s’agit, ira ensuite exposer ses plans à un investisseur frileux. Un argument scénaristique qu’Hal Ashby va exploiter en marabout : d’abord pour conter les liens ténus entre la politique et l’argent ; ensuite pour poser un regard ironique sur l’élection de Nixon – le film a lieu la veille de l’élection de 1968, mais est tourné en 1975, après le scandale du Watergate ; enfin, pour mettre en exergue la libération sexuelle en cours dans les années 1960, à travers une galerie d’infidèles et de cocufiés – chacun pouvant endosser ces deux rôles simultanément !


En à peu près vingt-quatre heures de temps diégétique, Hal Ashby, aussi décomplexé qu’appliqué, narre les moeurs changeantes de la société américaine – une ouverture sexualisée, une séquence osée avec la néophyte Carrie Fisher –, donne le tournis à coups de triangles ou carrés amoureux, bat en brèche certaines idées reçues – le coiffeur forcément homosexuel – et égrène des séquences à marquer d’une pierre blanche : quand George entend dormir mais que sa compagne lui parle d’enfants ; lorsqu’une soirée où tous les amants sont réunis tourne irrémédiablement en eau de boudin ; quand les femmes rivales se toisent pendant que les hommes qui les accompagnent discutent de… coiffure ; quand deux Amériques se font face le temps d’un plan, l’une noire, en tenue décontractée et affublée d’un joint, l’autre blanche, endimanchée et un verre d’alcool aux lèvres… Dans Shampoo, du malaise, de la naïveté et des incompréhensions naît souvent le rire. Et Jack Warden, Julie Christie, Goldie Hawn ou Lee Grant se surpassent en la matière. Cette dernière fut d’ailleurs oscarisée pour la cause.


Critique publiée sur Le Mag du Ciné

Cultural_Mind
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le 7 juin 2019

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