La décennie 70 voit le retour du "private detective" avec le mythique Philip Marlowe de Raymond Chandler dans plusieurs films et avec des interprètes différents (Elliot Gould ou Robert Mitchum), J.J. Gittes incarné par Nicholson dans Chinatown ou encore Lew Harper incarné par Paul Newman dans la Toile d'araignée (rôle qu'il avait crée dans Détective privé en 1966).
Mais le coup de génie vient du romancier américain Ernest Tidyman qui crée au début de la mode du "Black is beautiful" en 1970 le privé noir John Shaft, qui va connaître un succès fou et être à l'origine de la vogue cinématographique de la Blaxploitation ou black movies. Ces films étaient destinés à promouvoir des acteurs et des héros noirs pour un public noir, en inversant la situation classique du "bon noir" et du "méchant blanc". Le plus ironique, c'est que la plupart de ces films seront écrits, parfois réalisés et surtout produits par des Blancs, et seront vus aussi par un public blanc.
Ce premier film de la trilogie Shaft (qui sera suivi par les Nouveaux exploits de Shaft en 1972 et par Shaft contre les trafiquants d'hommes en 1973) n'est pas le premier du mouvement Blax, mais il marque l'envol de ce style qui s'étiolera après 1976, en employant la plupart des éléments constitutifs du polar classique hollywoodien ; Shaft est individualiste, violent et efficace, et ne diffère guère de ses collègues blancs des années 70. Sa seule originalité, c'est qu'il est Noir et qu'il officie à Harlem, mais il a quand même une certaine coolitude que n'ont pas les flics blancs.
L'autre originalité, c'est l'atmosphère ; les luxueuses demeures de la côte californienne étant ici remplacées par l'univers de Harlem, un monde où se côtoient flics, gangsters et parrains noirs, petites frappes et petits trafiquants, et où l'on retrouve les mêmes ressorts que dans les polars hollywoodiens (mafia, drogue, assassinats, tueurs à gages, prostitution, racket en tout genre). Il ne faut pas mépriser ces films d'exploitation car ils offraient souvent un spectacle divertissant et étaient bien réalisés, il y en eut de bons et de moins bons, comme partout, mais les Nuits rouges de Harlem est une habile série B dont la prestance de Richard Roundtree a contribué à sa réussite, ce rôle emblématique de la culture black US fit de lui une figure iconique qui fut admirée par tous les adolescents noirs.
Dans les romans de Tidyman, le personnage était cependant un privé particulièrement violent, à la morale douteuse et qui n'hésitait pas à tuer, il a donc dû être un peu radouci pour cette adaptation, et encore plus lorsque le succès se prolongea dans une série TV pour CBS en 1973 (7 épisodes de 75 mn diffusés en France en 1975). Shaft illustre comme je le disais au début, la formule du "bon noir" contre le "méchant blanc" puisqu'il est engagé par un caïd noir pour retrouver sa fille enlevée par un mafieux blanc. On retrouve autour de Richard Roundtree, des acteurs comme Moses Gunn qui tournera d'autres films blax, et un certain Antonio Fargas (le futur Huggy-les-Bons Tuyaux de la série Starsky et Hutch) qui deviendra lui aussi un habitué de ces black movies, souvent auprès de Pam Grier.
Enfin, dernier atout, que serait ce film sans la musique légendaire de Isaac Hayes dont les mélopées soul rythment parfaitement les scènes ? Elle a sans aucun doute contribué à donner un style et à conditionner le succès prodigieux de son interprète qui selon la légende, l'a composée en 20 mn lors d'une pause au cours d'une séance d'enregistrement.

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le 20 avr. 2020

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Ugly

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