Shadow
6.5
Shadow

Film de Zhāng Yì-Móu (2018)

Le début laisse craindre quelques difficultés pour suivre l'intrigue, à cause de la complexité des relations ébauchées, ainsi que des noms de lieux et de personnages pas toujours faciles à distinguer et enregistrer. Finalement non, car si on comprend que trois clans revendiquent la ville de Jingzhou, le film se concentre sur l’opposition entre les clans Pei et Yang, ce dernier occupant Jingzhou.


A une époque indéterminée mais reculée, dans le royaume de Pei, le roi (Zheng Kai) est un partisan du statu quo pour maintenir la paix. Une position qui lui vaut quelques critiques. En effet, on lui reproche de ne vouloir courir aucun risque, afin de conserver son trône. Pour tenter de déverrouiller cette situation, le Commandant Ziyu (Deng Chao), prend l’initiative de se rendre à Jingzhou sans demander son avis au roi. De retour, il annonce qu’il a proposé à Yang Cang (Hu Jun) un combat singulier avec le roi, l’issue du combat décidant du clan qui occuperait la ville de Jingzhou. Furieux, le roi dégrade Ziyu (contre l’avis de ses généraux). Pour reprendre Jingzhou sans même combattre, il envisage une autre tactique : proposer sa propre sœur, Qingping (la belle Guan Xiaotong), en mariage à Yang Ping (Leo Wu), le fils de Yang Cang. Il sera humilié par la réponse à sa proposition : Qingping ne pourrait devenir que la concubine de Yang Ping. Petite référence du réalisateur (Zhang Yimou) à son propre cinéma : Épouses et concubines (1991). Une référence cohérente avec le travail esthétique sur Shadow, qui se présente comme une adaptation cinématographique d’un classique de la littérature chinoise : Les Trois royaumes.


Le film investit le champ des luttes de pouvoir. Aussi bien les luttes internes que les guerres pour défendre ou reconquérir la ville de Jingzhou. Dans le royaume de Pei, le pouvoir du roi (encore assez jeune) reste quelque peu fragile. Zhang Yimou montre que le pouvoir dépend de celles et ceux qui l’entourent, des intrigues menées par les uns et les autres. Surtout, il montre que si le pouvoir dépend des forces qu’il peut déployer pour se maintenir en place et défendre son territoire, tout peut changer parce que certains prennent des initiatives selon leurs propres intérêts (voir la visite du Commandant Ziyu pour contacter Yang Cang). Beaucoup d’actions tournent autour du Commandant, un des personnages les plus intéressants du film.


Au-delà d'une intrigue apportant de nombreux rebondissements, sans doute même trop (notamment dans le final), le film fera son effet pour ses recherches esthétiques. Outre l'aspect formel concernant le travail sur les couleurs (un faux noir et blanc qui rend vraiment très bien), on observe un gros travail sur les décors et sites de tournage. On est en Chine, l'architecture le montre et c'est un plaisir pour les yeux. L'immense salle où le roi de Pei reçoit sa cour est décorée de nombreuses tentures exposant de remarquables calligraphies et les costumes sont également travaillés soigneusement. De plus, ils sont magnifiquement portés (voir par exemple le casque du roi de Pei lors du final), avec un casting réussi. Très beau visage notamment pour la jeune sœur du roi, qui ne se contente pas de cet atout, puisque son personnage affiche un caractère bien trempé.


Le scénario (cosigné Zhang Yimou et Wei Li) aux multiples rebondissements explore de nombreux thèmes. Cela va jusqu'à l'explicitation du terme faisant le titre (shadow = ombre). Qu'est-ce qu'une ombre, dans ce milieu ? C'est un personnage qui prend la place d'un autre plus important, pour qu'il paraisse à sa place, prenne les risques. Un fait qui aura de l'importance au cours du développement de l'intrigue.


Le film met l'accent sur quelques situations franchement spectaculaires, notamment lors d'entrainements aux combats et lors de batailles. Les entrainements se font sur une sorte d'esplanade où le symbole Yin/Yang forme un grand cercle en mosaïque. La chorégraphie des combats est également une vraie réussite. Et puis, la grande attaque menée par le clan Pei voit l'utilisation d'une arme effrayante : des parapluies constitués d'immenses lames tranchantes que leurs possesseurs font tournoyer au-dessus de leurs têtes selon une chorégraphie particulièrement dangereuse. L'attaque de la ville est un grand moment, avec des guerriers plus ou moins accroupis qui utilisent ces parapluies tournoyants comme protection. On voit une procession menaçante, façon gros scarabées aux carapaces métalliques qui peuvent envoyer des projectiles très efficaces. L'attaque est évidemment sanglante et donnera lieu à quelques péripéties qui justifient le minutage de près de 2 heures. Le spectacle ne faiblit jamais, le spectateur allant de surprise en surprise, avec les menées des différents personnages, leurs relations dont on réalise progressivement la complexité, les trahisons et audaces de certains, les vengeances et tout ce qui retient visuellement l'attention.


A l’image du Yin (concept associé, dans la philosophie chinoise, à l’obscurité, l’eau et la féminité) et du Yang (concept associé lui à la lumière, le feu et la masculinité), le film est une réussite qui justifie nominations et récompenses aux 55è Golden Horse Awards. Il trouve son équilibre entre l’étude des jeux de pouvoirs et un aspect esthétique très séduisant. En ce sens, il me paraît très significatif qu’il mette une jeune femme au centre de scènes de combat. Guerre et amour épicent Shadow. Cependant, le film restera à mon avis dans les mémoires avant tout pour son esthétique plutôt que pour son scénario.


Pour conclure, si l’ensemble est bien mis en valeur par la BO signée Zai Lao qui utilise essentiellement la flûte et le koto (instrument à cordes posé horizontalement sur le sol), l’affiche française du moment est une catastrophe par rapport à celle-ci.


Film vu le 8 septembre 2019 à l’Étrange Festival (Paris : Forum des images)

Electron
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Créée

le 11 oct. 2019

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