Au fond, il y a dans l’absurde quelque-chose de profondément cynique.

Une chèvre…
Une chèvre sur un vélo en plein milieu de l’Afrique…
Non. Encore mieux. Une chèvre attachée sur le dos d’un gars qui fait du vélo en plein milieu de l’Afrique.
Cette image, c’est le premier plan de ce « Seules les bêtes ».
C’est juste la meilleure introduction que j’ai vue cette année.
Une image et beaucoup de choses sont déjà dites.
« Seules les bêtes » va être un film absurde.
Mais aussi « Seules les bêtes » va être un film intrigant.
Ah ça… Dominik Moll. Tu ne me déçois pas.
Bravo…


Mais si absurde, au fond, ce film l’est bien, il n’en demeure pas moins intelligible et même remarquablement construit.
Dans la forme comme dans le fond, Dominik Moll manie les contrastes à la perfection : déserts de Côte d’Ivoire et montagnes enneigées des Causses ; légèreté voire simplisme des deux premiers personnages rencontrés et contexte soudainement grave qui augure du pire ; ancrage dans un quotidien très terre-à-terre et moments improbables voire presque cryptiques.
Rien ne semble lié. Et pourtant on sait déjà que tout l’est.
On demande juste à savoir comment. Et on sait dès le début qu’on aura la réponse car l’impression de maitrise est totale.
Les cadres sont purs. Les intentions nettes. Chaque effet sur le spectateur est anticipé et contrôlé.
Pour le coup on a affaire ici à un vrai film de cinéma et non pas seulement à une simple mise en image d’un roman à succès.
Il y a une atmosphère. Un sens. Quelque-chose qui va bien au-delà de la simple intrigue.


Mais ce film a beau aller au-delà de son intrigue, il n’y reste pas moins attaché et dépendant. Et à raison.
Pour le coup il y a de quoi comprendre l’attrait de Dominik Moll pour une pareille trame.
Très riche, habile et complexe, cette narration parvient non seulement à capter très vite l’attention mais elle parvient également à développer des personnages selon de multiples facettes.
Et même s’il faut du temps pour vraiment comprendre tous les enjeux sont connectés entre eux – notamment pour vraiment saisir comment une disparition dans les Causses peut se retrouver liée à une chèvre attachée dans le dos d’un cycliste ivoirien ! – on perçoit très vite les grands traits que l’intrigue entend tracer.
Tous ces gens ont au fond quelque-chose de pathétique et de tendre à la fois.
Et ils sont tous les jouets d’une situation qui les dépassent totalement ; sorte d’enchaînement de coïncidences malheureux trop gros pour que les protagonistes puissent les percevoir.


Et c’est d’ailleurs sûrement sur ce point que ce « Seules les bêtes » tire sa plus grosse force ainsi que sa plus grosse faiblesse. Plus cette histoire avance et plus elle parait dingue. Absurde.
C’est ce qui en fera d’ailleurs sûrement décrocher quelques-uns, rompant leur suspension consentie d’incrédulité.
Mais c’est aussi ce qui va décupler son charme presque magnétique.


Il se trouve que, pour ma part, je me trouve un peu entre les deux.
Sur le final je me suis demandé si tout cela n’était-il pas un peu trop… Si ça n’allait pas un peu trop loin.
Au bout d’un moment, l’abondance de coïncidences et de heureux hasards me rappelaient trop le caractère artificiel de l’œuvre.


Ce fut notamment mon cas quand Monique débarque avec son Jules dans les Causses tandis que Michel retrouve Armand / Amandine en Côte d’Ivoire. Pour moi, c’était trop gros et pas forcément nécessaire.


Malgré tout, je ne peux pas nier que cette dynamique d’ensemble conduit aussi ce film sur la voie d’une sorte de conte moderne. Un conte absurde et cynique. Un conte qui me laisse (encore maintenant que j’écris cette critique) sur une étrange sensation de déséquilibre.
D’un côté il y a une partie de moi qui se dit que tout ça était quand même sacrément riche de sensations et de moments captivants. Cette partie de moi est totalement séduite par l’identité forte et la richesse formelle de cette œuvre.

Et puis il y a cette autre partie de moi. Celle qui trouve que le film en fait peut-être trop dans son intrigue – qu’il n’a pas su faire preuve de mesure – et qu’en fin de compte il nous a fait tourné en bourrique pour ne pas raconter grand-chose. Car après tout, que tirer de toute cette histoire si ce n’est qu’en définitive, tout le monde s’est laissé emporter et dépasser par des chimères, ce qui les a tous conduit vers des destinées absurdes ?
A moins que…


A moins que, peut-être, il soit justement ici cet élément qui me perturbe joyeusement dans ce film.
Ce beau déséquilibre que je ressens en moi depuis que je l’ai vu.
Au fond, depuis le départ, tout pouvait se résumer à cette image de chèvre.
C’est absurde certes. Mais ça a du sens.
Un sens qui dit simplement que nous sommes tous les jouets d’un hasard qu’on croit comprendre et maitriser, alors qu’en fait on est tous que des dés qu’on gigote dans un gigantesque gobelet avant que ne sorte une combinaison quasiment improbable.
Au fond il y a dans l’absurde quelque-chose de profondément cynique quand on y pense.
Et c’est dans sa capacité à capter ça que ce « Seules les bêtes » detient quelque-chose de puissant.
Un joli coup de cœur.
Merci Dominik Moll.

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le 11 déc. 2019

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