En tournant son Seul Contre Tous, Peter Landesman devait se rêver dans les souliers du Michael Mann de Révélations. Il aurait pu aussi envisager d'imiter le Vincent Garenq de L'Enquête s'il avait eu l'esprit cocorico cocardier.


Hélas, il a dû s'endormir pendant ses prises de vues, l'ami Landesman. Car Seul Contre Tous ne renoue à aucun moment avec l'esprit de ces deux oeuvres. Encore moins avec leur tension ou leur suspense qui faisait qu'on ne décrochait jamais.


Seul Contre Tous, c'est tout d'abord le portrait d'un gentil toubib totalement candide et naïf qui pourra énerver ou, à tout le moins, irriter dans son approche simplette de la société américaine, de ses codes et du rêve d'intégration dont le pays est encore l'idéal. Il est le bien incarné dans toute sa pureté. Croyez-le ou non, il parle même aux morts et prend soin de ses clients. Parce qu'il n'utilise pas deux fois les mêmes scalpels pour autopsier. Les morts aussi ont une dignité à respecter. Voilà une personne qui, pour sûr, a déjà son ticket en poche pour siéger à la droite du Seigneur.


Parce qu'en plus, c'est un bon chrétien. Peter Landesman ne loupe jamais une occasion de faire un gros plan sur un crucifix ou la bible sur la table de nuit de son personnage principal. Et il fait réciter à Will Smith nombre de monologues avec le Tout Puissant à chaque fin de phrase. A mon avis, il doit plonger encore plus profond que les grenouilles de bénitiers. C'est ce qu'il fait d'ailleurs, puisqu'il va à la messe dominicale et accepte d'héberger une compatriote et plus si affinités. Autant dire qu'il l'épouse une demi-heure plus tard. Fin du suspense.


Ce portrait à gros traits ne serait pas si grave si le film qu'on nous met sous le nez était palpitant. Au contraire, Seul Contre Tous, qui promettait un bon aspect thriller dans sa bande annonce, ne cesse de traîner dans un mode pantoufles confortable tout au long d'une intrigue sans aucun rebondissement, sans tension et presque sans menace concrète. A part quelques appels anonymes et une filature qui n'a même pas le courage d'aller au terme de l'intimidation qu'elle est censée procurer, il ne reste que les manoeuvres de la NFL pour à peine discréditer le bon docteur Smith. Vous conviendrez que, dans le genre, on a connu plus déstabilisant...


Peter Landesman croyait certainement que se parer de la réalité de la tagline usée jusqu'à la corde "d'après une histoire vraie" suffirait à satisfaire le chaland qui se serait malencontreusement trompé de salle. Manque de bol, Seul Contre Tous se nourrit pour exister d'une histoire pas assez cinématographique pour convaincre. Alors même que le sujet en lui-même était de prime abord, sinon passionnant, au moins capable de titiller la curiosité. En l'état, le film est perclus de longueurs, tout en souffrant d'un évident manque de rythme et de tension. Filmé de manière anonyme sur de bêtes champs/contrechamps, utilisant en guise de transition entre chaque scène les mêmes plans de ville ou de stades mis en scène comme de nouvelles Mecques, Seul Contre Tous dilapide son intérêt initial au fil des minutes qui passent trop lentement, plombées de banalités et de discours d'un simplisme à pleurer.


Enfin, tout dans le film respire la volonté de figurer dans un éventuel palmarès à Oscars, tant par son sujet faussement poignant que par l'interprétation d'un Will Smith tout en yeux brillants de larmes, comme pour nous dire qu'il déborde d'une intériorité dévorante, ou en mâchoire serrée pour faire passer l'idée qu'il est angoissé. Triste de voir l'acteur qui s'est frotté au monument Mohamed Ali tomber aussi bas dans le jeu outré et sans aucune nuance. A peine rattrape-t-il le coup lors de scènes dispensables avec son épouse aux faux airs de Kerry Washington. C'est peu...


Seul Contre Tous s'aborde donc à la sortie de la salle comme une nouvelle occasion manquée, tant pour Will Smith que pour un film qui voudrait s'inscrire dans la digne lignée d'un Révélations, sans pour autant en convoquer la tension ou la maîtrise. Long, lent, pantouflard et parsemé de scènes à l'utilité discutable, le film n'a pour lui que la curiosité que suscitera son sujet auprès de quelques uns, sans pour autant réussir à les transporter.


La NFL peut dormir tranquille et organiser des projections : les joueurs qui y seront conviés ne risqueront pas d'en sortir avec une commotion cérébrale. Un comble.


Behind_the_Mask, qui n'a pas besoin de casque.

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Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Une année au cinéma : 2016 et En 2016, j'ai pris quelques douches

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le 13 mars 2016

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