Décrié avant même sa sortie pour suspicion de complaisance avec le nazisme, taillé à sa sortie par le régime chinois pour sa peinture de la résistance tibétaine, c'est peu dire que le film d'Annaud fait partie des rejetons les plus mal-aimés du cinéma moderne. Pourtant, nul besoin d'être un journaliste en mal de scandales ou un espion à la solde de Beijing pour se trouver embarrassé dès lors qu'il faut trouver des arguments pour défendre Sept ans au Tibet.


Evidemment, Annaud ne fait pas l'apologie du nazisme. S'il s'intéresse au destin de l'alpiniste autrichien Heinrich Harrer, c'est surtout pour son destin hors du commun. Le réalisateur n'en fait pas un héros auquel le spectateur pourrait s'identifier dès le départ. Hautain, orgueilleux, méprisant, le sportif incarne surtout le culte de l'individualisme et du dépassement de soi chers à l'idéologie nazie. Le choix de Brad Pitt s'avère plutôt judicieux puisque l'acteur semble totalement impliqué dans son rôle et traduit plutôt bien l'évolution psychologique de Harrer. Dommage que sa performance soit pourrie par un accent allemand franchement ridicule, qui glisse même sur la fin vers quelque chose qui ressemble à un accent pakistanais !


Ce qui nous amène à l'un des gros soucis du film : son authenticité. Je sais bien que ce sont des détails, mais c'est le genre de détails qui vous font sortir d'un film plus vite qu'une sonnerie de téléphone ou les bruits de mastication du pop-corn de votre voisin de siège. En premier lieu, Sept ans au Tibet n'a pas été filmé intégralement dans l'Himalaya. Pas besoin d'avoir Wikipedia pour s'en rendre compte, Annaud annonce lui-même la couleur en incrustant grossièrement les cîmes himalayennes sur des paysages américains (argentins et canadiens en l'occurrence). Cela reste assez pardonnable car un tournage intégral au Tibet aurait sans doute donné des sueurs froides à l'équipe de production. Ce qui est moins pardonnable, c'est que Sept ans au Tibet fait partie de ces films qui se fichent complètement de la cohérence linguistique, au point de laisser Brad Pitt causer comme un croisement entre Rainier Wolfcastle et Apu, tandis que les germanophones parlent anglais entre eux. Et les Tibétains aussi.


Ce qui nous amène au deuxième gros souci du film : la partie tibétaine. Annaud y fait preuve au mieux de maladresse, au pire de manichéisme. Bien que le film ait eu le mérite de faire connaître au grand public les exactions commises par l'armée chinoise contre le peuple tibétain, je ne peux m'empêcher de trouver la réalisation d'Annaud plutôt niaise dès qu'il commence à traiter le conflit. Le Français nous noie sous les bons sentiments, nous colle presque un flingue sur la tempe pour nous inviter à l'empathie envers ces très gentils Tibétains martyrisés par de très très méchants Chinois. La dénonciation est louable, bien entendu, et quasi inédite au cinéma, mais les moyens manquent de subtilité, comme si l'horreur des exactions chinoises n'était pas suffisamment insoutenable en elle-même. En la surlignant, Annaud dessert finalement le propos qu'il veut défendre et touche parfois le ridicule artistique. Donnant malheureusement lui-même du grain à moudre à ceux qui l'accusent d'avoir fait de son film une oeuvre de propagande...


La relation entre Herrer et Kundun ne permet même pas de sauver les meubles. Le réalisateur a à peine le temps de l'esquisser, et manifeste les pires difficultés à montrer comment les deux personnages se font grandir l'un l'autre, autrement qu'en employant - encore une fois - les bons sentiments. Avec un gosse de surcroît. Ce qui paraissait, au vu de l'affiche, comme la principale promesse du film, s'avère finalement un élément bâclé de plus dans une intrigue générale globalement très prévisible et convenue, dans la moyenne des drames hollywoodiens grand format. Jusque dans sa conclusion pataude qui aurait fait une très bonne pub Mastercard.


Du coup, en dépit d'une première heure très agréable ponctuée d'une scène d'escalade scotchante et d'une relation Harrer / Peter réellement intéressante, Sept ans au Tibet manque de souffle, ne tient pas sur la durée et se conclut dans l'indifférence, au terme d'un parcours où tout nous aura été souligné (la vieille astuce du journal de bord en voix off...), et où les ambitions artistiques n'auront occupé qu'une place anecdotique. Un chef-d'oeuvre potentiel bouffé par les sacro-saints commandements de l'entertainement, qui ne restera dans les mémoires que pour avoir éveillé les consciences sur le martyre du peuple tibétain.

magyalmar
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le 5 nov. 2016

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