Il faut avoir au coeur une espérance

La fiche technique de Sentinelle Sud comporte un pitch qui, sans en dire trop, donne les grandes lignes du film. Je ne veux ni le paraphraser ni dévoiler beaucoup plus son histoire, une des qualités de son scénario étant justement qu'il distille scène après scène des informations nouvelles, qui souvent sont autant de surprises et nous font avancer vers on ne sait quel dénouement, mais qu'on devine plutôt sombre, voire dramatique. On est suspendu aux faits, gestes et paroles des deux personnages principaux, tout en découvrant petit à petit ce qui les unit (alors qu'ils paraissent, de prime abord, très dissemblables). Ce sont deux soldats rentrés d'Afghanistan il y a peu. L'un, Christian Lafayette (Niels Schneider) est grand, fort et il est revenu indemne, du moins physiquement ; l'autre, Mounir El Khoury (Sofian Khammes) a été blessé à une cuisse et vient juste de sortir de l'hôpital. Le premier essaie de se réadapter à la vie civile normale, a loué un appartement modeste, s'est trouvé un petit job ; l'autre, qui souffre dans sa chair de plus d'une façon, est rattrapé par une vieille histoire de trafic d'opium qu'il devient vite urgent de résoudre. Les deux se connaissent depuis la petite enfance. Élevés par la même mère (celle de Mounir), ils sont aussi frères d'armes et deux des trois rescapés d'une embuscade dans laquelle leur unité est tombée alors qu'ils patrouillaient dans un village afghan particulièrement isolé ; un massacre s'en est suivi, d'où leur rapatriement. Un troisième rescapé a également été rapatrié et les deux premiers (et surtout Mounir) veulent le retrouver. D'autres personnages apparaîtront au fil du déroulement de l'histoire, notamment une infirmière enceinte, et le Commandant du contingent de "pacification" que Christian et Mounir avaient intégré en Afghanistan et qu'ils appellent "le père".
Le film est à cheval entre la chronique sociale et le polar mâtiné de thriller. On ne sait jamais trop où on va ni comment tout ça va tourner. Chaque scène est un peu une nouvelle facette de l'histoire. Le scénario est bien conçu, bien découpé. On ne s'ennuie pas une minute. Il se passe beaucoup de choses, des rebondissements, des actions inattendues. Et tout ça très ramassé. Sans être un technicien de cinéma, j'ai été frappé par la qualité du montage : pas de temps mort, pas de gras dans le déroulement de cette Sentinelle Sud (c'était le nom de guerre, ou le poste, de Christian en Afghanistan).
La psychologie des deux personnages principaux ne manque ni d'épaisseur ni de vraisemblance. Niels Schneider est formidable dans le rôle de Christian et Sofian Khammes très bien aussi dans le rôle de Mounir, notamment dans les deux grandes scènes d'action du film. Tous les deux jouent juste, habitent leurs personnages et nous touchent au coeur dans les choix qu'ils font (de s'accrocher et de s'en sortir, ou de décrocher et d'en finir).
Indian Hair (l'infirmière) et Denis Lavant (le commandant), dans des rôles secondaires non négligeables, sont aussi très bons. David Ayala dans le rôle d'un trafiquant et Thomas Daloz dans celui d'Henri le troisième rescapé de l'unité tombée dans l'embuscade du village afghan complètent la distribution de ce premier long métrage signé Mathieu Gérault.

Les bons films français ne sont pas si courants et j'ai aimé celui-là. Il y a, de mon point de vue, beaucoup de scènes marquantes, réussies et très différentes les unes des autres. Le scénario est bon, l'intrigue bien ficelée (avec quelques invraisemblances, mais vénielles), la réalisation classique mais propre. Et ce film noir, intense et qui met en scène des personnages souvent cassés ou désespérés débouche sur une assez jolie fin, même si un peu improbable, qui nous conseille l'espérance.