[Après réflexion, j'ai décidé de traiter les trois films qui composent la série Senses comme un seul , et donc de les noter et critiquer en tant que tel, puisqu'il me semble que c'est comme cela que cette œuvre est envisagée par ses créateurs, le film étant sorti en une fois au Japon. Bonne lecture !]


Devant une œuvre de cette dimension, ma première réaction a été la crainte, puisque pour peu que le film soit raté, l'idée de lui accorder plus de cinq heures de temps ne m'enchantait pas. Mais la simple existence d'un tel projet a suffi à m'intriguer - aidée il est vrai par le prix décerné à son quatuor d'actrices, et à me faire rêver à un récit ambitieux, qui prenne un temps, rare au cinéma, pour se dérouler. Pari gagné.


C'est peut-être la délicatesse générale de Senses qui m'a frappé avant toute chose. Il y a, dans la sobriété de la mise en scène, dans l'importance donnée aux regards et aux silences, dans le temps laissé aux dialogues pour respirer enfin, une minutie émouvante qui donne une force considérable au récit somme toute assez banal qui nous est présenté. Car voici l'histoire du film : quatre amies approchant la quarantaine voient leur quotidien secoué par la décision prise par l'une d'elles de demander le divorce. C'est tout, et c'est à la fois immense car l'excellente idée de l’œuvre est de s'attarder sur l'onde de choc qui souffle sur la vie de chacune des protagonistes, provoquée par ce choix explosif, avec une impressionnante gestion des relations de cause à effet.


Il faut également saluer la performance des actrices, dont l'intensité du jeu donne corps à leur personnage autant que le scénario. La qualité de leur jeu est d'autant plus remarquable qu'elle est soulignée par l'attention particulière portée par le réalisateur aux petites variations de leurs expressions et par, un peu à la manière de Kechiche, la dilatation du temps des scènes, dont certaines durent plus de dix minutes sans perdre une seconde en crédibilité ou en intérêt. Jun, Sakurako, Akari et Fumi ont chacune leur personnalité propre, et se distinguent comme autant d'individualités mises en difficulté dans leur couple, et c'est un plaisir constant de la découverte que de les voir évoluer à travers le déroulement du récit.


Ce récit tire sa force de la gestion de la temporalité par le film, qui me semble même être l'élément-clé de sa réussite. Loin d'être un gadget narratif, le choix d'un temps relativement long (quelques mois) permet de développer une sincère impression de familiarité avec les personnages qui contribue à les rendre attachants et à donner de l'épaisseur à leurs péripéties. Leur évolution devient dès lors un enjeu majeur, et permet à l'intimité de prendre des dimensions dramatiques considérables sans avoir besoin d'utiliser des artifices de narration. Même en ayant vu les parties à quelques jours d'intervalle, s'est installée en moi l'impression très agréable d'être en contact avec un monde à part, que j'avais hâte de rejoindre à chaque fois.


Car le parcours de ces femmes est profondément émouvant du fait qu'il est à la fois, tout comme le comportements de leurs maris, révélateur des travers et des particularismes socioculturels de la société japonaise, mais aussi une illustration d'une justesse frappante de la variété des problèmes de communication pouvant s'insinuer dans le couple, rendant la portée du propos universelle. La distance jamais froide du réalisateur évite continuellement le pathos, tout en ne ménageant jamais l'intensité et la confrontation, et en offrant à l'histoire un cadre esthétique remarquable, à travers une très belle photographie, et un sens affuté du cadrage.


J'ai donc été touché par la puissance douce de Senses, et vous encourage à lui donner une chance, malgré son imposante durée. Tous les protagonistes sortent changés de ce récit au long cours, et je vous assure que nous aussi.

Larsen
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le 17 mai 2018

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