Après le théâtre antique, le cinéma en kit

Ceci est un paquet-cadeau à déballer soigneusement. A l’intérieur, le mode d’emploi qui permet de monter soi-même l’objet conçu par la firme ETACA (vérifier que rien ne manque dans le paquet), en assemblant correctement les pièces contenues dans le colis.


Tout d’abord, cher client/spectateur, prends le temps de faire connaissance avec les principaux éléments de l’œuvre, soit une israélienne prénommée Michal (Sarah Adler) et une palestinienne répondant au prénom de Nadine (Samira Saray). Oublie un peu que cela se passe à Jérusalem et imagine plutôt qu'il s'agit d'une sorte de conte.


Pour comprendre la marche à suivre, observe bien Michal, l’israélienne qui dort paisiblement dans son intérieur moderne. Seule ? Non, un homme est allongé près d’elle. Pas pour longtemps, car son compagnon est un informaticien qui s’apprête à partir pour l’étranger présenter un logiciel.


Un matin comme tant d’autres ? Pas tout-à-fait, puisque Michal est réveillée par l’écroulement brutal de son lit. Dans la journée, une fois seule, elle fait le bon choix en décidant, non pas de rafistoler le pied défaillant, mais d’acquérir un lit tout neuf conçu par ETACA (placer les pieds de devant : vis 1 et 2). Sa chute du matin l’a laissée apte à se débrouiller normalement au quotidien, puisqu’elle conserve ses facultés physiques et intellectuelles. Par contre, elle a tout oublié de sa vie personnelle, de son intimité. La voici dans les meilleures dispositions pour se mettre à l’œuvre avec le plus parfait naturel. Bien évidemment, la situation présente quelques inconvénients. En effet, elle se montre assez distraite, tout en ayant parfaitement conscience que quelque chose ne tourne pas rond. Ses gaffes successives apportent une réelle fraicheur à ce film dont le rythme quelque peu nonchalant contribue à l'aspect démonstratif, pédagogique. Les facultés intellectuelles de Michal lui permettent de s’adapter à la nouvelle donne. Elle met ainsi à profit les différents imprévus pour obtenir des informations oubliées sur sa propre vie, que ce soit son nom, son activité professionnelle, ses rendez-vous et même son passé personnel, ses projets les plus secrets.


Passons maintenant à l’autre personnage principal, Nadine jeune palestinienne qui, pour aller à son travail (qu’elle accomplit de façon très mécanique), passe chaque jour de nombreuses heures à patienter péniblement à un check-point. Vois comme tu pourrais suivre son exemple en écoutant de la musique avec son baladeur, pour passer le temps agréablement. Très concentrée, elle conserve un visage fermé de rebelle, malgré le plaisir évident qu’elle a à écouter du hip-hop. Imagine comme elle respirerait la sérénité si elle pouvait en profiter, confortablement installée sur un lit ETACA (assembler les pieds arrière : vis 3 et 4). Et, devine comme elle trouve intéressant de profiter du quiproquo qui lui permet d’échanger les rôles et identités avec Michal.


A ce stade, cela doit faire 4 vis de placées, pour finir l’assemblage du meuble il n’en reste plus qu’une. Mais où peut bien être passée cette cinquième vis ? Sois donc particulièrement soigneux(se) au moment de déballer le matériel, une simple négligence peut avoir des effets d’une ampleur inimaginable.


Après cette présentation des protagonistes principaux, il ne te reste plus qu’à observer la suite pour te débrouiller et monter ton meuble toi-même.


Le film est malheureusement un peu trop dans cet état d’esprit, le spectateur devant se débrouiller avec pas mal d’éléments en vrac, car les trajectoires de Michal et Nadine ne font que se croiser. Ce que la réalisatrice a pu vouloir dire c’est qu’Israéliens et Palestiniens ne font que se côtoyer avec méfiance. Le dialogue et la connaissance de l’autre seraient indispensables pour apaiser les tensions. Présenté au festival de Cannes 2014, ce long métrage (son second, après Les méduses) de l’israélienne Shira Geffen, place deux personnages féminins au cœur d’une intrigue agrémentée de situations cocasses, dont la légèreté tranche singulièrement avec la situation politique. Une situation à la complexité décourageante. Alors, quelques touches loufoques et de nombreux objets aux couleurs vives voire fluo illuminent les images et donnent une touche particulière au film. Volonté évidente quand on comprend quelle est l’activité principale de Michal. Elle-même est estomaquée en comprenant jusqu’où elle est allée dans l’expérimentation. Exploration ou provocation pour tenter de faire comprendre que les uns et les autres vont trop loin ?


Self made affiche donc un ton décalé qui illustre certaines tendances de l’art moderne. Les acteurs sont à la hauteur. Si le scénario réserve pas mal de petites et bonnes surprises, il manque d’épaisseur et s’égare un peu. Cher(e) spectateur, spectatrice (ou simple lecteur, lectrice) si le sens profond t’échappe… ETACA être attentif !

Electron
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le 28 juil. 2015

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