Second Tour
6.1
Second Tour

Film de Albert Dupontel (2023)

Après le désespoir absolu, donc la lucidité, d'Adieu les cons, qui lui a valu un très joli nombre de spectateurs ainsi qu'une belle moisson de César, Albert Dupontel s'enlise bizarrement dans une satire politique d'une naïveté embarrassante, croyant que faire référence à Mark Twain, à Bienvenue Mister Chance et à Charlie Chaplin et dédier l'ensemble aux regrettés Bertrand Tavernier, Jean-Paul Belmondo et Michel Deville suffiraient peut-être à faire quelque chose de bon.


Je vais passer rapidement sur une photo numérique immonde (principalement quand c'est en extérieur ou que c'est supposé l'être, foutant une constante apparence d'artificialité, y compris à des paysages naturels... bordel, même la forêt a l'air d'être en plastique !) et sur quelques CGI dégueulasses, à l'instar du fond vert hideux pour figurer l'Élysée (euh, il y a des tas de riches demeures ayant un fort air de ressemblance avec le palais présidentiel... la flemme de chercher et d'y aller poser ses caméras ?) et du plan, aussi tape-à-l'œil qu'inutile, de l'aigle volant dans le ciel avant de plonger dans l'eau pour attraper un poisson, pour me concentrer sur l'intrigue.


Déjà, des donateurs puissants n'iraient pas miser sur un cheval pour le plus haut poste de l'État s'ils n'étaient pas sûrs à 100 % de servir leurs intérêts en faisant cela. Et ils ont largement les moyens financiers et humains pour s'informer par eux-mêmes quant à leur monture. Ensuite, s'ils venaient à se tromper malgré tout, ils ne prendraient pas le risque d'éliminer physiquement quelqu'un d'inévitablement ultra-médiatisé (Robert Boulin et les "suicides" chez Tonton, ça date un peu !), constamment au premier plan, car il y a bien plus efficace et bien plus subtil. Il suffit pour eux de fouiller dans le passé de leur candidat, pour dénicher une belle casserole (99,99 % de chances de trouver un truc pleinement satisfaisant !), au pire de la fabriquer (dans l'improbable 0,01 % restant !), et de demander aux médias, leur appartenant, de le détruire auprès d'une population abêtie et impuissante, ayant l'occasion de jouir en voyant défoncé un membre d'une élite méprisée. Ah oui, pour une personne aussi exposée, avec immanquablement énormément d'ennemis ayant pour objectif de le faire chuter, les chances que plusieurs personnes fouillent dans son passé, arrivent à trouver ce qui a été caché et à le balancer sont plus que très fortes, surtout à l'heure d'Internet. En conséquence, rien que la base scénaristique est invraisemblable.


Ensuite, si une journaliste venait à poser des questions embarrassantes, allant contre les instructions de ses supérieurs, ces derniers seraient vite mis au courant, que cette partie soit coupée ou non dans le reportage final.


Et un candidat qui balancerait de tels propos, à propos d'immigration, lors de la séquence de l'entre-deux-tours (donnant, au passage, l'impression d'être un petit exercice oratoire facile à affronter, s'étendant sur cinq minutes à tout casser, vu que le film n'insuffle pas la sensation d'un plus long temps, ne serait-ce que par des ellipses ou par l'inévitable épuisement des deux adversaires... parce que, même pour des sociopathes aguerris, ça doit être sacrément crevant !) n'aurait aucune chance de gagner. La plupart des Français aiment bien qu'on leur dise que les migrants ne pénétreront jamais dans le territoire national, tout en laissant entrer, dans les faits, des bateaux entiers de représentants du tiers-monde.


Autant Albert Dupontel en Mister Chance s'en sort avec les honneurs (après tout, il a prouvé à plusieurs reprises, sur scène et devant une caméra de cinéma, que c'était sa grande spécialité d'incarner les êtres plus ou moins demeurés !), autant en candidat présidentiel parvenu à franchir l'étape du premier tour, il n'est pas crédible une seule seconde, paraissant trop paumé dans une conquête impitoyable qui exige une sureté et une maîtrise de soi affichées olympiennes.


Ah oui, c'est quoi ce running-gag de la journaliste, jouée par Cécile de France, et de son caméraman, à qui le fidèle du réalisateur, Nicolas Marié (toujours excellent, quoi qu'on lui donne... ici en imbécile heureux fan de foot !), prête ses traits, surpris en train de sortir des vulgarités, par une cheffe rigide ? Vous n'allez pas me répondre que dans les bureaux de la rédaction d'une chaine d'info en continu, ce soit inhabituel, ce soit de l'ordre de l'exceptionnalité, de cracher des insultes ou des insanités.


Autrement, le personnage de la journaliste susmentionnée ne croule pas non plus sous la vraisemblance, passant d'un coup, sans opérer la moindre progression dramatique, par la magie de la paresse scénaristique, d'un être cynique, audacieux et opportuniste en un être, ayant constamment la larme à l'œil, tellement elle se laisse envahir par les bons sentiments, par la croyance d'un monde meilleur. C'est l'exemple le plus probant d'un long-métrage qui, en ne creusant pas bien ses caractères, en négligeant d'approfondir leurs interactions, se noie dans un récit mal fagoté, brouillon, en plus de sa naïveté (ouais, Dupontel veut absolument que son rêve utopique de société idéale devienne réalité dans un monde pourri au lieu de s'y fracasser !) et de son absence complète de crédibilité. La musique, mièvre, vous enfonçant bien dans le crâne quand vous vous devez d'être émotionné, achève de rendre le résultat peu agréable à visionner.


En bref, Second tour est le pire film jusqu'ici de toute la filmographie de son réalisateur-acteur-scénariste.

Plume231
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le 26 oct. 2023

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