Muet, personne ne t'entendra crier

Le principe de Sans un bruit est brillant : à l'heure où les films d'horreur sont jugés efficaces au bordel sonore qu'ils créent pour surprendre un public difficile à contenter, l'oeuvre de John Krasinski, acteur/réalisateur/scénariste/producteur de son propre film, joue astucieusement pendant plus d'une heure sur son concept génial, proposant un rythme particulier qui laisse savourer tranquillement son suspens impeccable et ses plans bien composés.

Esthétiquement joli, ce film de science-fiction à tendance thriller est une jolie peloche aux frissons récurrents plus le temps s'écoule, tour à tour humain puis violent, située à mi-chemin entre le drame dystopique et l'épouvante maline. Le mutisme de ses personnages, obligés de faire le moins de bruit possible pour ne pas être repérés par des monstres répugnants, conduit sur de convaincants passages où le jeu des regards sera de mise entre les parents et leurs enfants, famille disparate que le drame devrait réunir en fin de bobine.

C'est un parcours initiatique différent de ce que l'on trouve habituellement dans le registre, ajout bénéfique très sûrement permis par le mélange des genres rarement aussi réussi. C'est aussi parce que John Krasinski laisse la place à l'expression émotionnelle de ses protagonistes que Sans un bruit est à ce point captivant et émotionnellement intense; tous très bien développés et interprétés avec talent, ces quatre personnages, seuls acteurs que l'on croisera régulièrement, sont rendus réalistes par la justesse de leur écriture, qui les caractérise mieux comme des humains en proie au doute, au malheur, au drame qu'aux habituels héros de survival impossibles à crever.

A contrario du décevant Dans le noir, Sans un bruit va à fond dans son concept durant toute sa première heure, proposant un divertissement qui change et pourra certainement paraître pour les habitués de l'action un peu lent. C'est lorsqu'il tente de leur faire plaisir qu'il devient amplement moins intéressant : dès que se déclenche la partie action/terreur, A Quiet Place se banalise quelque peu en gardant, quand même, une part de sa personnalité grâce au travail toujours très propre de Krasinski.

C'est surtout du au fait qu'il a peur de poser le silence lors de ses scènes de tension, comme si rendre un film à moitié muet (lors des passages adéquats) allait détruire son aura terrifiante, alors que c'est justement ce qui aurait pu lui permettre d'atteindre des sommets de stress et d'impact sur le spectateur. Il remplace au final ces moments de "sans un bruit" par un panel de musiques bien choisies mais complètement hors propos, musiques l'enfermant dans les codes des films d'horreur actuels.

Nul doute qu'il aurait gagné à se montrer plus fin, moins grand public, en témoigne cette séquence à couper le souffle débutant en hommage à La Guerre des mondes d'HG Wells, et qui débute dans une cave pour s'élever dans la maison à mesure que le moment gagne en intensité. Un passage efficace du fait de l'alternance entre musique et silences, bien mieux réussi que cette fin tire larme qui laisse une drôle de dernière note un peu fausse, élément du cahier des charges remplit qui laisse un sentiment d'avoir globalement suivi un film grand public aux ambitions trop élevées pour ses désirs de rentabilité, enfermé dans un registre horrifique entravant au moment où il aurait du se libérer en se vendant comme un film de science-fiction à tension.

Et s'il reste joli, il faut lui reconnaître une efficacité formelle certaine. Dommage, cependant, que l'espérance n'épouse pas l'expérience.