Saltburn
6.2
Saltburn

Film de Emerald Fennell (2023)

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[Petit avertissement : j'ai essayé de rester le plus vague possible quant au contenu de l'intrigue de ce film, mais je pense, malgré tout, que la plupart d'entre vous sont capables de lire entre les lignes. En conséquence, je préfère vous recommander de visionner le film avant d'aller plus loin dans le contenu de ma critique.]

Emerald Fennell a prouvé avec son précédent film, Promising Young Woman, qu'elle n'est pas la reine de la subtilité. Mais elle y va tellement à fond (ce qui tendrait à présumer que non seulement elle en consciente, mais aussi qu'elle l'assume joyeusement !), elle est tellement frontale avec les sujets qu'elle aborde que j'avoue une certaine fascination, voire une certaine admiration. Elle est cash. Elle veut montrer que notre monde est pourri, autant montrer toute la pourriture possible.

Et quand elle s'attaque à la haute aristocratie, il n'est guère étonnant qu'elle les dépeigne en êtres hors-sol, semblant vivre dans un autre univers.


Alors quand un coucou entre dans le nid (un nid qui a la grandeur et la superbe apparence de Drayton House, cadre principal de l'histoire !), ils ne s'en aperçoivent pas, ou bien trop tard. D'ailleurs, ce côté satirique est renforcé par le fait que les seuls, à tout de suite saisir la véritable personnalité de notre cher protagoniste, côtoient ce cocon fermé sans en faire partie. Je fais référence au cousin américain, pas assez habile pour prévenir le danger, et au majordome, dont le rang sociétal ne lui permet pas de faire quoi que ce soit.


Et il est trop tentant pour elle de ne pas profiter de la splendeur des lieux séculaires dans lesquels évoluent nos nobles (que ce soit Drayton House ou Oxford !), pour créer un contraste détonant, à l'intérieur de ces murs, pour en désacraliser les habitants, en nous foutant sur la tronche des éléments triviaux venant de l'espèce animale qu'est l'humain, à savoir la merde, le sang, le sperme, le vomi, symboliques de leur incapacité à avoir un comportement à la hauteur de cette demeure magnifique, à travers la dépravation.


Et Fennell aimant bien sûr être trash, à partir de ces matières organiques, il y a un beau lot de séquences qui ne manque pas de faire un effet mémorable dans le dégoûtant et dans le malaisant. Mentions spéciales à une scène liée au trou d'évacuation d'une baignoire, à une autre liée à une tombe "fraîche" et à un cunni très menstruel. Ne mangez rien devant ce film, y compris de la chatte.


Devant cette toile de fond, on a une histoire qui n'est sans rappeler, des films comme Eve de Joseph L. Mankiewicz, Plein soleil de René Clément pour ce qui est de la thématique de la personne qui veut prendre la place d'une autre, Susuna la perverse de Luis Buñuel ou Théorème de Pier Paolo Pasolini pour ce qui est de foutre un bordel monstre dans une cellule familiale. Je ne m'étends pas sur Mise à mort du cerf sacré (avec le même acteur principal, donc je me sens un peu obligé de le mentionner quand même !) de Yórgos Lánthimos pour la simple et bonne raison que je ne l'ai pas encore vu. Il y a aussi un côté Rebecca avec le majordome et son allure de vampire.

Et de tout cela, il en ressort du très bon et du moins bon.


Dans le très bon, le plus évident, c'est la distribution.


Il n'y a pas un seul second rôle à ne pas déchirer, Rosamund Pike, Jacob Elordi, Richard E. Grant, Alison Oliver, Archie Madekwe, Paul Rhys et (une revenante de Promising !) même Carey Mulligan, en paumée pathétique, avec une coupe et une couleur de cheveux surprenantes, qui n'a pas besoin d'être présente longtemps pour prouver qu'elle est une sacrée comédienne... tous sont excellents, un sans-faute.


Mais celui qui se distingue évidemment le plus n'est autre que le comédien prêtant ses traits particuliers à notre tendre arriviste, le magnétique Barry Keoghan qui achève de défoncer le compteur de charisme, déjà bien détraqué par ses partenaires, en maître de cérémonie de ce véritable jeu de massacre. Il a les épaules pleinement solides pour porter le récit du début jusqu'à la fin.


Autrement, toujours dans le très bon, techniquement, il y a quelques plans bien agencés (surtout autour des reflets !), qui en dégagent pas mal, comme pour prévenir d'aller au-delà des apparences. Et j'ai kiffé quelques touches d'humour bien noir, ayant provoqué chez moi, ridicule de circonstance des personnages oblige, quelques éclats de rire cyniques.


Dans le moins bon, si je mets de côté que j'ai vu à des kilomètres arriver le twist concernant... enfin, ce qui vient juste avant la fête d'anniversaire... les dernières minutes auraient gagné à ne pas exister pour que l'ambiguïté puisse faire acte de présence, laisser au spectateur l'exercice réflexif stimulant de réunir lui-même les morceaux du puzzle, de combler les trous, d'interpréter comme il le souhaite... ou alors, au contraire, tout afficher d'une manière linéaire et chronologique, sans rien cacher, car des points de vue de la tension et de la psychologie, ça aurait eu plus d'impact. Il n'y a rien de plus dérangeant que de suivre pas à pas un psychopathe, nous mettant dans la position inconfortable de ressentir de l'intérêt pour lui, parce que le mal absolu a une forme de "séduction" malgré nous. Or, en balançant, d'un coup, toute la sauce pour ce qui est des révélations, on tombe dans le banal thriller vu et revu, avec des ficelles utilisées des milliers de fois, étant donné qu'elles sont ultra-prévisibles.

Quand les cadavres s'accumulent à vitesse grand V, bordel, il faut vraiment ne pas avoir été en contact avec la plus petite œuvre de fiction pour ne pas voir le pot aux roses.

Cela se conclut sur l'impression désastreuse que la réalisatrice se croit plus maligne qu'elle ne l'est réellement et croit que le spectateur est plus con qu'il ne l'est réellement. C'est con.

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le 30 déc. 2023

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Plume231

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