Une histoire à la Pagnol, dialoguée par Michel Audiard. 'Je suis ton père!' version Gabin.

(Liste de remarques qui seront plus claires si vous avez vu le film)



"Ces demoiselles vont promener Médor..."



Un film très court de 1959 mais qui empaquette avec justesse beaucoup de sujets encore tant actuels et qui ont été traités avec parfois bien plus de lourdeurs et maladresses qu'ici.
Sont abordés, entre autres: la famille recomposée, la lutte des classes, l'arrivisme, le sport truqué, les problèmes de logement et d'équipement sanitaire, le coût de l'éducation, la méritocratie, l'ascenseur social hasardeux, le harcèlement de rue (si on écoute bien la fille de Gabin qui ne peut "pas faire un pas tranquille à Paris"), on fait même allusion à la sécurité au travail et le naufrage que peut-être le vieillissement, les fake news,
et aussi, en passant, il est fait mention de perversions sexuelles de notables-Tartuffe, pourtant donneurs de leçons en public,
et on croisera même "un enfant empaillé exhibé dans un globe pour la visite de Martiens"...(dialogue de Gabin qui n'aurait pas déplu à Tim Burton).


Un visionnage qui donne tant d'autres plaisirs, comme par exemple voir Gabin donner un tuito de vélo, comme s'il était en plein rêve-éveillé, à califourchon sur une chaise de bar, ses pieds pédalant dans le vide sous son dos arrondi. On voit qu'il s'y voit (plus tard, il sera plus calme mais en gros plan pédalant sur un pédalo avec son fils putatif, Roger Dumas).
J'ai aimé dans cette scène, la litanie de noms de cyclistes qu'il me reste à chercher:



_"Quand tu causes vélo, c'est comme si moi je causais élevage de poules, t'y connais que dalle!
Voir passer une course, c'est peut-être un spectacle mais question bagage technique, c'est zéro!
Ton Charly Gaul, c'est un bon coureur...mais il y en a eu d'autres des coursiers avant lui...
Pas des fantaisistes! T'as jamais entendu parler de Monsieur Christophe, le Vieux Gaulois,
de Monsieur Alavoine,
de Monsieur Tys,
de Sieur Lambon,
de Mocca
et je parle pas d'Henri Pélissier...et à cette époque là, y'avait pas de dérailleur, on retournait sa roue pour le grimper votre Izoard!
Seulement ça, c'est de l'histoire, ça s'apprend pas en vacances au bord des routes."



Et en 1959, si Gabin-père distribuait quelques mandales et vannes, il se faisait aussi très étonnamment encore lui-même (un peu) vanner. Par exemple, quand après la victoire en vélo de son fils, il se plaint du champagne servi par son ami le cafetier, ce dernier lui dit qu'il le lui commandera son "meilleur standing" comme il dit, mais il lui demande aussi "d'enlever sa casquette"... pour évaluer son crâne afin d'aussi faire "élargir la porte" pour que sa nouvelle grosse tête "puisse passer" (c'est mieux dit et écrit dans le film).


Brasseur jouera Gabin des années après:
Avant, son fils avait même osé lui conseiller "d'en faire lui-même du vélo"... pour perdre un peu "de poids": épatant très jeune Claude Brasseur osant répondre au dab' dans une guinguette dont la piste de danse et la piscine rappellent justement le camping où ce même Claude Brasseur se retrouvera des années plus tard, un peu dans le rôle de Gabin!



scène à la camping où "il tâte encore le vieux" comme il dit, tant il fait preuve d'énergie, classe et maîtrise sur la piste de danses.
On voit en effet Gabin dansant en vrai, à merveille et apprenant le cha-cha-cha dans les bras de sa fille, Marie José Nat, dont j'ai souvent entendue parler par Jean Claude Brialy et Dominique Besnehard, mais la voir en 'vrai', me l'explique mieux: elle est très belle et joue juste.



Et Brasseur sera aussi à son tour un père élevant seul sa progéniture dans 'Monsieur Papa' en 1977. Ou comme Gabin il abordera le sujet de sa misère sexuelle de parents très occupés...
Emouvant et étonnant aussi de voir Gabin sans mièvrerie abordant ce sujet et se confiant à son ami Frankeur sur sa quasi misère sexuelle pour avoir élever 3 enfants successifs avec chacun leurs ennuis de santé successifs qui lui ont pris tant de temps! ....et ça en 1959.


Le pipeau et histoire tire-larmes de 2021 déjà abordé en 1959:
____En 1959, on parlait aussi déjà de 'Storytelling' (sans l'appeler comme cela car on parlait encore Français); 'le racontage d'histoires' comme à The Voice où autre émission, changeant et chargeant la vie des candidats pour les rendre plus "pittoresques".
Déjà les fabrications de nouvelles (fake news) dénoncées en 1959:
même si le père se révèlera pas dupe du fiston cycliste à qui on fait changer son histoire pour le rendre plus intéressant aux yeux de la presse.



du genre ouin ouin-"Mon papa m'a empêché de faire du vélo"
(alors qu'il a payé pour les "boyaux, les vélos et les maillots").
Donc les histoires bidons de candidats à des compétitions n'est pas nouveau: comme à la France a du Talent:
où on attriste leur bio, "on ajoute des petits malheurs, du pittoresque"
"Les gens heureux n'ont pas d'histoire, or le public en veut" (répète Claude Brasseur sous l'influence de son manager cupide).



La France d'en haut et celle d'en bas:



"Un "truc"? 'La messe en si mineur' de Bach"..."

Ma scène favorite est quand, d'abord plein d'ironies puis de colère, Jean Gabin revient de chez Roger Tréville (un mini sosie de François Mitterrand&Jack Palance), et on voit Gabin alors pincer des lèvres, prendre des airs, arrêter l'accordéon à la radio et répéter devant Brasseur éberlué,
"que la musique s'arrête au 18e siècle, voyons!"
puis refusant ses nouilles car il doit prendre son "thé-biscotte, prescription médicale pour son régime du soir, car il grossit."
(il se moque du Bourgeois cuistre et quasi pédophile qui trompe sa femme avec des ouvrières leur promettant le mariage...faux ou pas, la fin le dira).
Rôle qu'il jouera pourtant avec tout autant de crédibilité.



"La vinasse et le porno" habillant habilement un beau débat sur 'nurture et culture', sur les enfants adoptés et leur éducation:
___J'ai aimé les conversations au travail un lendemain de cuite, où on en apprend de belles sur Paul Frankeur: ce parrain "exhibitionniste"...car Gabin a dû l'empêcher de baisser son pantalon "à la communion du neveu"!
Mais c'est aussi, entre deux gaudrioles verbales, là qu'on est très ému d'apprendre les principes d'éducation du papa:
Frankeur: "...ça veut dire que Fernand (Dumas, l'enfant bâtard) n'est pas un produit-maison, un Prince du Sang."
Gabin: "C'est complétement con ce que t'dis. J'ai fait pour lui comme pour les deux autres. J'en fais même plus".
Frankeur: "...m'est avis que t'en fais même trop. T'as retiré les deux autres de l'école à 14 ans.Celui-là, si tu pouvais, tu lui ferais faire polytechnique"
Gabin: "Et alors? Les miens, c'est moi qui les ai faits. J'sais c'qui sentent et c'qui pensent.
Mais le Fernand? Son père était peut-être un mec très bien mais c'était peut-être aussi le dernier des salauds. Va donc savoir ce qu'il a dans le crâne; c'est pour ça que je veux y mettre le plus de choses possible. Au cas où... tu comprends.
Et pour pas qu'y soit dit que j'ai pas fait ce je devais faire."
Frankeur: "C'est bien toi ça. tu devrais faire graver des cartes de visite: 'Henri Neveux, homme de devoir'. ...Pourquoi pas? C'est une branche qui est pas tellement encombrée."


___Un plaisir de recroiser Renée Faure dont la voix suffit à mon faible cerveau pour encore la confondre avec Suzanne Flon.


___Un plaisir d'enfin découvrir Roger Dumas si jeune, que j'avais toujours connu vieux et ...en pyjamas.


___Je suis content d'avoir reconnu Pierre Vernier , un des deux inspecteurs apprenant l'arrestation et prévenant que le juge est "un dure".
Une sale tête d'ailleurs ce juge qui m'a rappelé les propos de Depardieu sur celle qui avait condamné son fils: des "yeux de tueurs", plein d'apriori sur les classes sociales.
Joué ici par un glaçant Bernard Dhéran, aux yeux en effet déjà guillotines, acteur souvent croisé quelques secondes mais qui perce l'écran comme son regard!


___Je découvre une Dominique Page dont la voix et la complicité au bar restaurant avec Roger Dumas me touchent (elle est émue car il n'a pas vu et deviné qu'elle est prostituée): mais je découvre que sa carrière semble s'être arrêtée en 1970 alors qu'elle n'est morte qu'en 2019
(c'est la bonne dans 'Oscar' avec Louis de Funés).


___Et je suis ravi d'ajouter un film à ma liste sur 'Alfred Adam', que j'avais enfin découvert en Casanova des marais qui se fait lyncher et briser les jambes par la horde de maris cocus dans 'La Ferme du pendu'. ...ici, c'est lui qui bride les jambes de ses coureurs dont il truque les courses.


Dialogué par Audiard, mais écrit par un épatant René Lefèvre qui semblait en savoir de belles sur nos régions:



"ça devient curieux la Seine et Oise" (sa face&fesse cachée?)
Un livre de René Lefèvre avait aussi servi de base à l'histoire et la description de la société hypocrite dans "Le Corps de mon ennemi"d'Henri Verneuil que je venais de revoir.
René Lefèvre est ami de Gabin, écrivain, scénariste, grand résistant et même acteur (jusqu'à ce qu'il se casse le nez à cheval): il est aussi l'auteur du 'Doulos' (voir la page bibliographique écrite par une Isabelle Michel).
Il met en scène l'hypocrisie de mari et bourgeois dans la scène de "l'hôtel de la Folie": le père Gabin retrouve sa fille avec un homme aussi vieux.
Le barman lui parle sans savoir qu'il est le papa: ce cancanier lui confie les secrets et confidences sexuelles sur les pratiques de certains clients de l'hôtel, notables.
Ils rappellent des scènes dans 'Le Corps de mon ennemi' où Claude Brosset jouait une dominatrix qui avait comme client juge, maire et autre procureur, qu'il fouettait.
L'auteur/acteur René Lefèvre semble bien connaître le sujet: ici, il parle d'un riche yuppie avant l'heure (mais vieux), mari volage de la haute, qui cible les très jeunes prolétaires
"car elles sont plus dodues et serviables"
Cet abuseur de fille prolétaire me rappelle celui décrit par Mike Leigh dans 'Naked' en 1993.
Le barman ajoute: "au moins les amis du Monsieur sont eux biens tranquilles et reposants, car ne couchent que deux par deux , et les hommes avec les femmes...".
Au contraire d'un gentil mais bruyant "fameux biographe de Saint Paul", qui vient dans cet hôtel pour "aboyer toute la nuit" avec ses amies, pour se faire appeler "Médor et lever la jambe pour pisser le long des troènes".
Cet homme qui veut se faire passer pour un chien avec des filles à l'hôtel m'a rappelé celui qui veut jouer au chef de gare dans 'Intolérable cruauté' des frères Coen en 2003.



Ajouts Juin 2021:
___j'avais aussi aimé tout ce qui tourne autour de la nourriture: formidable cette époque qu'on tente de recréer où tout semblait "local" par nature; à portée de pas-de-portes dans les rues, pas loin; sans avoir à prendre de voiture; Gabin fait d'ailleurs un peu la gueule quand il apprend qu'ils vont encore manger du "roti de veau"...j'ai pas compris, il dit que "c'est un peu triste comme viande"...sa fille de répondre qu'il sera "égayé par des frites".


____AMICRIC de SC en message me rappelle que l'acteur que Gabin essaye d'éduquer par son cours de cyclisme improvisé sur la chaise est Paul Mercey:



"...qui confond les sprinters et les grimpeurs"
Un oubli de ma part malheureux alors que je liste depuis longtemps les films où je le croise https://www.senscritique.com/liste/Paul_Mercey/2878790 ^^
Amicric me rappelle aussi que le cassant et glaçant Proviseur injuste avec le pauvre et obséquieux avec les riches parents est Francois Chaumette.



"" Bernard Musson sert son nième petit blanc au fil de ses 150 films""



""le père Seigner (grand-papa de Mathilde) qui paraît d'abord bien sévère et qui se révèle bonhomme et bien humain""
Amicric a aussi reconnu "Jacques Monod" (dont la voix m'est revenue dés que j'ai vu son visage) et aussi un "Gabriel Gobin" que je (re)connais hélas encore très mal.



Pierrick de SC me rappelle le dialogue entre Brasseur, vantard, et Gabin, diluant:



""n'empêche que je suis champion de France!"
"Ah oui,et pour les coups fourrés, t'es même champion du Monde!""



Pierrick se rappelle aussi et c'est si drôle:



" "A propos de Lefèvre, Brialy en parle dans ses fantastiques mémoires intitulées "Le ruisseau des singes", et c'est hilarant. Brialy l'avait invité dans une émission de télé qu'il animait, ça devait être dans les années 60 ou 70, pour parler de Jules Berry que Lefèvre avait bien connu.
Tout ce que J.C avait pu en tirer, c'est:
"Jules,tu me dois 5000 francs!".
Le mec était juste venu pour réclamer son oseille, et cela alors que Berry était mort depuis longtemps".



Et 'p3i' de SC aussi ajoute:



""Un petit clin d'œil pour Gaby Basset, première épouse de Gabin qui sert des petits blancs dans ce film. Gabin, qui était resté ami avec elle, lui réservait souvent un petit rôle dans ses films"".



J'adore ce genre d'infos: on entend parfois que les couples se ressemblent et je trouve que cette Gaby Basset, ex de Gabin, lui a un petit air et expression, sur certaines photos...



Et j'ai appris un autre mot, 'Griveton', lorsque le fils ne veut pas retourner à l'école:
_"Mais tu peux pas comprendre Papa, t'as jamais été pensionnaire"
_(Et Gabin de répondre) "Non, mais j'ai été griveton!"
(c'est un appelé, un 'simple' soldat)


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le 14 juin 2021

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PierreAmo

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