Après un premier film méconnu tourné au Québec il y a plus de dix ans et un autre aux USA passé totalement inaperçu quelques années plus tard (et pas aidé par une sortie directement en VOD), Charles-Olivier Michaud s’est tourné vers la télévision avant ce projet d’adaptation d’un célèbre roman autobiographique éponyme en tournant des épisodes de séries TV. Il est tombé sur le livre autobiographique « Ru » de Kim Thuy et a un coup de cœur. Un ouvrage qui retrace son enfance à Saïgon au Vietnam durant la guerre avant l’arrivée des communistes les forçant elle et sa famille à l’exil en bateau suivi d’un internement dans un camp de réfugiés malaisiens jusqu’à son arrivée et sa nouvelle vie au Québec. Le livre alternait les époques et les souvenirs sans ordre particulier et « Ru », en tant que long-métrage de cinéma, fera de même. Cependant, le scénario va choisir de consacrer les deux tiers de l’adaptation à la partie se déroulant au sein de la nouvelle vie au Québec après le déracinement forcé. Mais un montage malin et habile va permettre de rendre le récit plus vivant : en reprenant une structure voisine de l’ouvrage, faite de flashbacks mettant en corrélation la partie québécoise inscrite dans un présent avec l’exil forcé et le périple du voyage. Le choix de ne pas traiter l’avant est certainement d’ordre pratique, le film durant déjà deux heures ici. Mais, même sans cela, on ressent parfaitement le choc émotionnel, culturel et psychologique vécue par la jeune Kim Thuy enfant et sa famille. Et cela notamment grâce au regard triste et lointain de la jeune Chloë Djandji qui l’interprète et dont les yeux en disant autant que mille mots.
« Ru » joue beaucoup sur les silences, les regards et l’intériorisation mais à raison, cela nous permettant de prendre le pouls émotionnel de cette famille. Et bien sûr et surtout de Kim Thui enfant qui est logiquement celle par qui on voit les choses sur la plupart des séquences. Il n’y aurait cependant pas eu un quelconque souci à alléger le film d’un petit quart d’heure et de le rendre ainsi plus dynamique et moins lent. Mais ce n’est pas pour autant que l’on trouve le temps long. C’est une histoire à la fois belle et déchirante qui nous cueille dans son émotion à maintes reprises et sans en faire des tonnes, avec pudeur et simplicité. On apprécie le réalisme des situations en rapport avec le choc culturel : jamais excessives et caricaturales pour faire rire mais au contraire amusantes par leur décalage et la maladresse des hôtes québécois. Les séquences plus dures dans le passé, que ce soit l’humiliation par les soldats, l’exil ou les passages dans le camp, fonctionnent un peu moins parce qu’elles ont moins le temps d’exister mais densifient quand même le long-métrage. Et la mise en scène de Michaud est de toute beauté, soignée et élégante sans excès, avec des plans marquants par leur esthétique comme celui filmé de haut sur le radeau ou celui devant les néons de l’épicerie qui caressent le blanc immaculé de la neige. Mais on se souviendra surtout de cette succession de plans fixes à la fin s’arrêtant sur tous les protagonistes du film et qui font naître beaucoup d’émotion. Un beau film à n’en pas douter.
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