Exclusivité MUBI, et donc premier film de cette plateforme que je vois au cinéma, à l'occasion d'une des deux projections au festival Chéries Chéris 2023 à Paris, Rotting in the Sun, nouveau projet de Sebastian Silva (Magic magic), a suscité un certain engouement ou une curiosité manifeste depuis son annonce et ses premières projections avant son arrivée sur la plateforme de streaming, principalement en raison de son acteur principal, et de son sujet - plutôt classique - traité de façon assez inhabituelle.


Le comédien principal donc, JFirstman, pour Jordan Firstman, célébrité des temps modernes - un influenceur comique gay d'instagram - qui est apparu sur nos petits écrans circa 2020, lorsqu'il faisait des "imitations" absurdes et queer coded pour occuper son confinement américain. Il se trouve que je le connais de cette époque, sans avoir jamais trop compris pourquoi il avait "percé" aussi vite alors que je ne le trouvais pas si drôle, juste d'une beauté désarmante - ceci explique sans doute cela. Depuis, ce mini phénomène médiatique a beaucoup fait parler de lui, sur internet ou dans les médias américains, sans doute nettement moins en France et en dehors des réseaux sociaux LGBT.


Le sujet ? Une femme de ménage tue son patron par inadvertance et décide de dissimuler le crime, s'ensuit tout un enchaînement de situations drôles et scabreuses, un engrenage de mensonges et de dissimulations. Rien de révolutionnaire donc, un sujet de comédie noire ou de drame assez classique. Ce qui ici fait le sel du film c'est, d'une part son traitement quasi documentaire (ou mockumentaire), caméra à l'époque et style ultra réaliste et glauque qui montre l'addiction à la kétamine, du sexe gay presque houellebecquien et l'omniprésence des réseaux sociaux et de la célébrité à l'ère Tiktok sans fard et avec un cynisme exacerbé, d'autre part la dimension méta qui fait jouer leurs propres rôles à Jordan Firstman et Sebastien Silva, qui disparait dans le film telle Janet leigh dans Psychose.


Si la manière de filmer tout cela est assez inintéressante et que le premier tiers du film, centré sur la dépression, l'addiction et les tendances suicidaires d'un réalisateur pédé raté qui lit Cioran et fantasme sur son propre suicide, ne convainc pas tout à fait (trop glauque, trop cynique mais pas si drôle ?), l'arrivée lunaire de Jordan Firstman dans le film, qui se révèle petit génie burlesque d'un nouveau genre (très axé cul et drogues), réveille le tout lors d'une improbable déambulation hallucinée cauchemardesque sur une plage mexicaine naturiste gay. On se prend à se demander s'il est aussi imbuvable en vrai que dans le film, et une relation toxique tellement improbable se crée sous nos yeux, qu'on en vient à penser que ce n'est peut-être que le bad trip du cinéaste drogué.


La suite du film, huis clos dans un appartement mexicain en travaux centré autour d'une bonne à tout faire impayable (géniale Catalina Saavedra, muse du cinéaste), mêle allègrement vaudeville noir et cruel (on pense aussi bien à la comédie italienne 70s, à Arsenic et vieilles dentelles qu'au Locataire de Polanski), cauchemard hallunicatoire et... anatomie d'une chute - celle de Silva qui se fracasse dans le patio de l'immeuble. Mais plutôt qu'une enquête pour reconstituer les circonstances de sa mort, c'est plutôt une enquête presque Antonionienne qui se déploie, le cinéaste ayant disparu mais personne ne sachant où il est ni ce qu'il fait, et ne se résignant à l'évidence de plus en plus grande : il s'est peut-être suicidé. Au milieu de ce cirque d'hypocrisie (la culpabilité grandissante et mal dissimulée de la bonne, le meilleur ami hétéro qui se rend compte qu'il l'a peut-être poussé au suicide et tente de faire disparaître les preuves), Jordan Firstman semble émerger de sa propre inhumanité en suivant son intuition première : il est mort, mais pas de son propre chef.


Le tout saupoudré de scènes de drague, de baise, de boîte, de drogue, avec des reaction shot et des gags totalement improbables qui arracheraient un rire gras même au plus coincé d'entre vous. Autre similitude improbable avec le film de Triet, la présence d'un chien au regard étrangement humain, témoin indirect des évènements et dont l'attachement à son maître défunt risque à plus d'une reprise de compromettre les plans de la bonne. Sans en dévoiler la nature, la scène finale du film, reprenant un gimmick employé tout le long et qui commençait pourtant à montrer ses limites narratives, est un coup de génie comique sidérant.


Une excellente comédie noire en définitive, à laquelle on pardonne une forme un peu paresseuse au profit de dialogues et de situations vraiment hilarantes. On a l'impression de voir une sorte de Bernie de Dupontel à la sauce porno gay instrammeur. Pas pour tout les regards donc.

Krokodebil
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le 21 nov. 2023

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