[Je précise que j'ai vu la director's cut de près de trois heures, donc j'ai laissé ainsi un maximum de chances au réalisateur en visionnant ce qui était au plus près de ce qu'il voulait.]


À partir de la deuxième moitié du film, il y a quelque chose qui me paraissait clocher par rapport à la première. Trop pris par le rythme faisant qu'il faut reconnaître qu'on ne voit pas le temps passer et par le spectaculaire des séquences avec les fauves (sur lesquelles je vais revenir !), je ne suis pas parvenu à saisir quoi. Et paf, le baiser des deux protagonistes avant l'apparition du générique de fin, en ne paraissant pas couler de source, m'a révélé que c'est l'histoire d'amour qui a été négligée en cours de route, vers le milieu.


Oui, la première heure et demie prend bien son temps pour creuser les caractères, les mettre en relation, y compris la romance entre nos deux amoureux. Cela prend même trois quarts d'heure en nous montrant le personnage principal masculin pas à sa place du tout au lycée. Et tout cela pour non seulement bien souligner que notre malheureux lycéen trouve enfin sa raison de vivre parmi les gros chats avec de grandes gueules et de grandes griffes, mais aussi pour mettre en avant un de ses profs (sur lequel je vais aussi revenir par la suite !).


Et à mi-chemin, seule la passion pour les lions et les tigres compte. Le tout occulte celle des deux êtres humains entre eux, alors que les deux auraient pu être mises en parallèle ou même se nourrir l'une et l'autre. Reste donc pour ainsi dire les séquences spectaculaires avec les fauves. On ne pourrait plus en faire des comme celles-là aujourd'hui. D'un point de vue artistique, voir des faux animaux dangereux crées en CGI dégueulasse comme dans les films de maintenant n'est pas très excitant. D'un point de vue humain, ne plus vouloir faire subir ce genre de contraintes à des êtres vivants n'ayant rien demandé est une excellente chose. Mais si on ne pense qu'art devant le spectacle de Beineix, ça en fout plein la gueule.


Dans cette optique, la conclusion se souhaitant apothéose tendance baroque que représente le grand numéro aurait été plus percutante si Beineix n'avait pas eu la mauvaise idée d'insérer des commentaires inutiles de personnages secondaires assis dans les tribunes, se focalisant juste sur Roselyne et ses lions, en les isolant de toute réalité (du moins, jusqu'à que ce soit complètement terminé, jusqu'à l'explosion d'applaudissements !). Le spectateur (celui qui regarde le film !) aurait été plus pris psychologiquement. Pour souligner mon propos, vous croyez que dans Les Chaussons rouges, le long ballet (point d'orgue de ce chef-d'œuvre !) aurait eu autant de force, aurait fait autant plonger dans la fièvre de l'art si le cinéaste Michael Powell avait coupé toutes les vingt secondes sur la banalité des réactions dans le public.


Là, j'ai mis en exergue ce qui m'a le plus dérangé. Mais il y a d'autres défauts.


D'abord (oui, une bonne partie du film se passe à Munich !), des Allemands qui parlent entre eux (donc, en dehors de la présence d'un étranger ne comprenant pas un traître mot de la langue de Goethe !) s'expriment en allemand. C'est idiot de les faire causer français à ces moments-là. De plus, s'il est incontestable qu'ils ont un grand talent dans la maîtrise des langues étrangères (nous foutant la honte totale à nous, les Français, qui sommes à chier dans le domaine !), voir tous les personnages sans exception de cette nationalité avoir leur C2 dans la langue de Molière, c'est un peu gros.


Ensuite, les comédiens ne sont pas terribles, en en faisant beaucoup trop.


Je tiens tout de même à évoquer mon admiration au courage des deux interprètes principaux qui ont pris physiquement des risques en étant en contact constant avec des animaux ayant la capacité de les faire passer de vie à trépas en un coup de patte (ça se voit qu'il n'y a aucun trucage !), surtout en ce qui concerne Isabelle Pasco (de laquelle le réalisateur n'hésite pas à montrer ostensiblement la plastique avantageuse en ne la faisant pas crouler sous le tissu lors du numéro final !) qui est celle à se jeter le plus souvent dans la gueule du loup... euh du lion. Mais pour l'interprétation, on n'atteint pas des sommets de subtilité. Et, en outre, pour le cas précis de Gérard Sandoz, son absence complète de charisme est un handicap venant s'ajouter du début jusqu'à la fin puisqu'il joue le rôle principal masculin.


Je sauve Philippe Clévenot qui se comporte plus en homme de théâtre que de cinéma en cabotinant. Mais le fait que son personnage, un professeur d'anglais méprisant se transformant en improbable ange gardien du couple, est tellement peu commun, tellement bigger-than-life, a pour conséquence positive de rendre logique cet excès scénique avec la personnalité incarnée. Cela me rappelle tout ce qu'un Robert Le Vigan ou un Jules Berry était capable de donner dans le cinéma français des années 1930-1940 ; ce qui n'est pas pour me déplaire. Et je sauve aussi Günter Meisner, au contraire tout en sobriété, dans la peau d'un dresseur de tigres, essayant de dissimuler une grande fragilité derrière une grande raideur.


Pour ce qui est de l'histoire, le film aurait tout eu à gagner à être une mini-série de cinq-six heures pour que tout soit bien creusé. Pour le problème de la direction d'acteurs, les autres œuvres de Jean-Jacques Beineix que j'ai vues m'avaient déjà montré que ce n'était pas ce que le Monsieur faisait de mieux. Autrement, techniquement, si on met de côté les scènes incroyables avec les rois de la jungle, il y a aussi de beaux mouvements de caméra ; mention spéciale au travelling introductif annonciateur de ce qui arrivera dans les dernières minutes.


Bref, pour moi Beineix était plus un homme de contenant (d'autant plus qu'ici, agréable surprise, il y a un peu moins de ce que la décennie 1980 pouvait insuffler d'insupportable kitsch dans sa mise en scène !) que de contenu. Roselyne et les Lions me le confirme à nouveau.

Plume231
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le 28 janv. 2022

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