18h45. La salle est pleine à craquer. Jeunes gens, familles au grand complet, enfants d'aujourd'hui flanqués de leurs parents, les dignes enfants d'hier. Ceux qui ont vécu la révolution "Star Wars" d'il y a 40 ans, qui l'ont vu avec les yeux de leurs enfants. Un rite initiatique pour les familles, une nouvelle jeunesse pour les parents. Un Jardin d'Eden, une fontaine de Jouvence bien sombre.


La salle s'éteint. On lance le film. Rupture grave, l'intro n'est plus la même. Le film prend ses aises, se démarque du reste de la saga. Et puis, le drame. Le film s'emballe, part dans son délire, explose tout sur son passage; la volonté du spectateur, ses espérances, ses souvenirs du septième épisode, la conception que l'on a des gentils et des méchants, tout. Il détruit tout sur tout, n'épargne personne.


Autant le dire de suite : Rogue One est un grand film de guerre, une apologie de la résistance face à l'envahisseur (nazi ?). Rogue One, c'est la peinture d'une humanité détruite par un mal universel : le totalitarisme. Mais à la différence de ses prédécesseurs, il ne tombe jamais dans la facilité, dans le manichéisme : ici, rebelles et empires, hommes et femmes ne sont pas bons; nul n'est bon, nul n'est quelqu'un de bien. On représente l'homme dans son infinie complexité, le guerrier dans sa sombreur d'âme la plus totale.


Nul héros n'est à dégager de l'histoire : Gyn est prête à annihiler tous les soldats de l'empire pour sa vengeance personnelle, quand Krennic n'est qu'un homme assoiffé de pouvoir qui veut contrôler la galaxie. La barrière du bien et du mal est donc très souvent brouillée, avec un réel travail sur le passé des personnages. Seulement, même si les acteurs les interprètent avec brio ( un vrai plaisir de retrouver Madds Mikkelsen et Forest Whitaker dans ce genre de rôles ), il leur manque un certains travail psychologique : sur le coup, peu sont vraiment développés. De ce point de vue là, c'est plutôt too much.


Le plus curieux, c'est qu'en y réfléchissant, on se souvient d'eux; sûrement que l'interprétation, le physique des acteurs, leur personnalité à l'écran font le travail de l'écriture. Une escouade d'ailleurs marquante par la diversité de ses personnalités; de l'âme la plus pieuse au bâtard le plus tordu de la galaxie, l'on y trouvera de tout. Le trait est volontairement exagéré, pour vous faire prendre conscience de l'infinie étendue des personnages présents dans l'oeuvre.


De ce point de vue là, l'écriture est extrêmement matûre, noire, sombre, profondément pessimiste. "Rogue One" n'est pas un film dont on sort indemne; il laissera forcément une petite trace dans votre conscience, un résidu de souvenir qui rappellera tel ou tel passage. Juste dans son propos autant que dans sa manière de le développer, il amène des thèmes étonnement réfléchis et profonds dans une saga souvent caractérisée par son envie de faire rêver le monde.


Dans ce film, ne vous attendez pas à rêver : tout est sombre, tout est âpre. Appel désespéré d'êtres opprimés, baroud d'honneur de toute une galaxie saignée jusqu'à l'os. Les tyrans sont faits de noir et de blanc; ils épousent les couleurs du bien et du mal, détruisent toute forme de stéréotypes, annihilent les clichés. Ici, on meurt comme on respire, on crève dans la boue, on pleure sous la pluie des larmes de douleur, on a le coeur qui saigne jusqu'à s'en arracher les veines.


Tout est triste, tout est mortel : de la plus simple promenade à l'ultime virée spatiale, la mort peut venir n'importe quand. Elle avance vite, se frais un chemin dans l'espace et l'abysse, porte pour nom Destroyer, avec ses laquais habituels : les troupes de l'Empire, l'Empereur lui-même, Vador, qui porte à son bras le sabre de la vengeance. Une vengeance qu'il exerce contre les rebelles, contre les Jedi, contre la vie en général. Pathétique être qui souffre plus qu'il ne respire, figure Shakespearienne de l'être torturé jusqu'aux tréfonds cachés de son âme.


Vador, c'est un être qui vit le mal, qui l'incarne comme aucun autre. Face à lui, des personnes qui sont uniques autant qu'elles se complètent, des soldats improvisés ou nés dans la violence. La galaxie n'est pas faite de fleurs ou d'un doux nectar de rose; non, elle refoule la fumée épaisse des tirs de blaster, elle est corrompue par la puanteur de cadavres en putréfaction.


Dans Rogue One, les hommes meurent comme ils respirent, et tuent comme ils mangent.


En dernier lieux, j'aimerai tout de même signaler un imposant travail de Motion Capture ( avec un vibrant hommage aux 1/3 du film, qui m'a fiché la larme à l'oeil ), encore qu'imparfait si l'on y regarde de plus prêt ( surtout au niveau des yeux ). L'on regrettera la mise en scène de Gareth Edwards, qui manque souvent de personnalité; il tourne bien ses combats, mais ne parvient pas à donner un réel cachet à son oeuvre. La bande-son, par contre, détruit complètement celle du "Réveil de la Force", en offrant une force émotionnelle destructrice à une oeuvre qui ne manquait pas de puissance.


Verdict : Rogue One est une sorte de Battlefront à échelle humaine, une réflexion personnelle sur la guerre et tous les malheurs qu'elle cause. Explosion de beauté, passerelle virtuose entre deux époques éloignées, destruction progressive de tout ce que l'on pensait prévisible, avec en prime un fan service très appréciable ( les amateurs y prendront leur pied; il n'y a pas de doute là dessus ). Rogue One, c'est Star Wars qui s'invite chez Spielberg, c'est Vador qui tue le Soldat Ryan.


Ma Culture Geek

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le 15 déc. 2016

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FloBerne

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