En une seule seconde, n’importe quelle existence peut être détruite ou bouleversée à jamais. Il suffit de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment, par exemple un restaurant parisien lors d’une soirée pluvieuse. Avant cette seconde fatidique, la personne s’apprêtant à la vivre retient pour toujours des visages, des gestes, des détails, des odeurs qu’elle aurait oubliés immédiatement après si elle avait eu la possibilité d’enchaîner ensuite avec son train-train quotidien. Mais cette seconde fatidique a définitivement tout enrayé.


Il y a celles et ceux qui ont vécu l’horreur d’un attentat terroriste, qui savent ce que c’est que d’avoir vécu une éternité ayant dû être insoutenable, atroce, qui se demandent pourquoi eux vivent toujours et pas les autres. Et il y a celles et ceux qui ne l’ont pas vécu et qui ne peuvent pas le comprendre. Et il y a le trou noir d’une mémoire qui se refuse instinctivement à se rappeler de ce qui s’est passé durant l’éternité.


Le personnage principal, Mia, lui, est un qui sait. Le sujet de l’histoire est une quête pour se rappeler les faits et les rencontres précises refoulés d’une éternité. Et elle ne peut pas le faire seule. L’aide et l’entraide des autres êtres à savoir est absolument nécessaire pour parvenir à ses fins. Ce qui fait que Revoir Paris est une œuvre qui avance sans jamais tomber dans le pathos, dans le démonstratif, en se laissant naturellement guider par la chaleur humaine.


Le récit, bien sûr, se concentre principalement sur Mia, mais de temps en temps se permet de laisser la parole, soit par les dialogues qu’ils ont avec la protagoniste, soit par le biais d’une voix-off (elle est aussi utilisée pour faire partager quelques pensées du personnage principal !), à d’autres victimes. Le discours de chacun et de chacune d’entre eux ou d’entre elles a une inestimable valeur humaine.


La mise en scène, quant à elle, est très naturaliste.


Les bruits de coups de feu sont ultra-réalistes, effrayants à cause de cela. Pas du tout ceux, en quelque sorte rassurants, que l’on entend habituellement dans les divertissements au cinéma.


Paris (continuant à vivre, imperturbable, une existence que les victimes voient inévitablement autrement !) est filmé dans tout ce que cette ville peut avoir de beau, mais aussi sans fard, dans tout ce qu'il a de peu reluisant (les SDF dormant sur des matelas à même dans la rue, certains endroits très sales !). C’est même un personnage en lui-même, aussi important que l’héroïne (l’intégralité de l’action se déroule dans la ville-lumière, ce qui renforce cette sensation !).


La précarité sociale dans la capitale est même abordée, intégrée dans la quête. C’est l’attentat et ses suites qui la mettent naturellement en lumière. Ce n’est pas une greffe maladroite sur un corps étranger ou un truc inutile, manichéen, balourd et stupide inséré pour faire passer un message du genre “les immigrés sont nos amis, donc vous êtes racistes si vous ne les aimez pas !”. Non, c’est juste qu’un attentat dans un restaurant parisien révèle que les propriétaires de ce type d’établissement emploient des sans-papiers pour faire des tâches difficiles que les autres se refusent à exécuter. Quand les coups de feu se font entendre, tout le monde est à égalité. Après, par contre, c’est une autre histoire…


Il n’y a rien qui sonne faux du point des décors. J’ai même eu l’impression que les intérieurs ont été tournés dans de véritables intérieurs. Le cachet authenticité n’est jamais pris en défaut, que ce soit sur la forme que sur le fond.


En effet, pour ce dernier, en ce qui concerne donc le sujet des victimes et de leurs comportements après l’horreur, je me suis dit instinctivement au cours de la projection, “la réalisatrice sait de quoi elle parle, tout sonne incroyablement vrai ici”. En conséquence, je n’ai guère été étonné d’apprendre par la suite que son frère est un survivant du Bataclan et qu’elle a été en contact avec d’autres personnes ayant subi les événements.


Pour la distribution, tous les interprètes jouent à la perfection. Et face à un Benoît Magimel, émouvant en être, touché aussi bien dans sa chair que dans son esprit, voulant oublier, ce n’est pas la sublime et charismatique Virginie Efira, n’ayant jamais été aussi rayonnante, qui va me faire dire le contraire.


Sur le thème du réapprentissage de la vie, passant par une confrontation difficile avec le passé et un rapprochement avec les autres qui savent aussi, Alice Winocour réalise un film aussi puissant que juste et bouleversant.


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le 8 sept. 2022

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Plume231

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