Quatre ans après L’inconnu du lac et un passage par le festival de Cannes, Alain Giraudie revient sur les écrans avec l’étrange objet cinématographique qu’est Rester Vertical. Une histoire de loups, de corps à corps, et presque d’initiation au cœur d’une France sèche et fertile à la fois, soit la Lozère et ses magnifiques paysages. Une nouvelle œuvre exigeante et déstabilisante repartie bredouille de la Croisette en mai 2016.


Léo veut voir le loup qui sévit dans un causse de Lozère, mais c’est une femme qu’il rencontre. Elle guette son troupeau de brebis accompagnée d’un chien blanc. Très vite, Rester Vertical prend des allures de conte. On fonce à toute vitesse dans le temps, et pourtant lentement dans le rythme général du film, de la rencontre à l’accouplement de deux êtres qui se connaissent à peine. Leur union donne bien vite naissance à un enfant. Un bébé à moitié désiré et donc à moitié assumé. Il est pourtant le « Graal » auquel Léo s’accroche tout le long du film. Malgré les difficultés, il se convainc que c’est ce qu’il a toujours voulu, pour lui seul. Ce ne sont pas des super-héros que filme Giraudie dans ce film pourtant sorti en plein été. Ce ne sont même pas des héros. Ce sont avant tout des hommes. Le réalisateur du remarqué L’inconnu du lac (2012) nous embarque pour un voyage sans véritable retour. Le conte se déploie alors avec ce qu’il faut d’ingrédients : des loups invisibles mais qui rôdent et menacent, des paysages à perte de vue, des rencontres incongrues, un peu de surréalisme. Mais c’est aussi une sorte de piège que Giraudie referme sur son personnage. Ainsi, Léo croise des personnages qui disparaissent pour mieux réapparaître et le déstabiliser, même en l’aidant. Le réalisateur est aussi un cinéaste de la répétition, du cycle. Tel qu’on voyait le personnage principal revenir inlassablement au lac dans son précédent opus, ici,c’est Léo qui prend sans arrêt la même route et Giraudie filme particulièrement un tournant où la voiture semble comme foncer droit dans un mur, forçant le conducteur à ralentir. Il n’y a presque pas d’échappatoire possible. Les êtres que Léo rencontre alors qu’il tente d’écrire son scénario sont comme tout droit sortis de son imagination, ils débarquent de nulle part.


Une évasion sans roi et sans issue


Les motifs propres au réalisateur sont donc bien présents, l’ambiance notamment et cette capacité à sortir des sentiers battus. Le scénario est loin d’être cousu de fil blanc. Les acteurs également sortent plus ou moins des normes habituelles. Tel Pierre Deladonchamps (qui s’est aujourd’hui imposé sur les écrans), Damien Bonnard a ce qu’on peut appeler une « gueule » de cinéma. C’est d’ailleurs ce qu’il dit à un inconnu croisé sur le bord d’une route et à qui il propose de faire du cinéma. Les corps de ces acteurs sont montrés sans détour, la chair y est souvent triste, molle. Car il est aussi question de sexe ici, filmé, encore une fois, frontalement. Il est pourtant assez peu question d’un réel désir ou même de passion. Tout y est presque mécanique. C’est d’abord une femme que filme Giraudie ou plutôt son sexe à la manière d’une « Origine du monde » cinématographique. Il est aussi question de la vie qui sort de ce même corps. L’accouchement n’est ici aucunement embelli. Le désir entre hommes est également évoqué, sans que ne soient privilégiés des corps jeunes, esthétiques. Pourtant, et contrairement à ce qu’il filmait dans L’inconnu du lac, Giraudie ne fait presque jamais aboutir ce désir homosexuel. Ou alors de manière détournée, macabre même. Il nous emmène au-delà du réalisme apparent, du terre-à-terre ambiant et ce, jusque dans la diction des personnages, leur manière de déclamer le texte, la partition écrite pour eux.


Toujours debout


Giraudie filme un face à face entre les loups et l’homme, entre l’homme et l’homme de manière parfois magnifique (surtout dans les paysages qu’il nous donne à voir), souvent déstabilisante. Rester Vertical nous mène nulle part et partout à la fois. Si bien que même une rivière, signe habituellement de la liberté ou du moins de la possibilité de la fuite, s’avère une impasse moins mystique qu’au premier abord. Ce face à face n’a qu’un objectif : démontrer que face au loup comme à la vie, il faut savoir rester debout (ou vertical comme le suggère le titre), ne pas courber l’échine. Léo le découvre presque à ses dépends, dépouillé à la fin du film tout autant qu’au début, devenu père entre temps, puis dépossédé de ce titre. Il finit par ne plus bouger, mais refuse de se coucher, d’abandonner cet élan vital qui l’habite. Un film rare, qu’il faut aborder sans des yeux de spectateurs habitués au grand spectacle, mais simplement avec ce qu’il faut de surréalisme, de détours et de beauté froide.

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le 24 août 2016

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