Après les longs monstres assommants qui rôdent dans la période “début de la fin” de Fellini, c’est une bouffée d’air frais que de voir Prova d’Orchestra, pourtant situé dans un auditorium exigu qui donne l’illusion d’être en sous-sol.
Ambiguïté ultime entre les genres du documentaire & de la fiction, c’est une satire musicale où les personnages, musiciens d’orchestre, répètent & se font surprendre par la “télévision”, dont c’est prétendument la caméra qui balaye la salle. Est-ce bien Fellini derrière elle ? Difficile à dire quand la parodie ajoute son grain de folie : totalement imbus d’eux-mêmes, les personnages lancent leurs avis inflexibles & politiquement hermétiques jusqu’à converger dans la voie d’un syndicalisme irraisonné où la musique perd tout son sens & dont le chef (d’orchestre) fait les mêmes frais que s’il était chef (d’entreprise). Musique, télévision, politique : un concentré dont on se déconcentre à grand-peine.
Fellini a surpris car il sortait une nouvelle fois de son propre genre, & il a globalement plus insupporté avec ce pamphlet qu’avec son Satyricon ou son Casanova. Il devait d’ailleurs avoir peur de ce résultat pour en venir à détruire ses propres décors à coups de boule de démolition, fil rouge mystérieux puis objet terrifiant qui vient de nulle part, s’agite comme un pendule & se met à pendouiller comme un immense “f**k it”.
Il faut dire qu’en plus de friser l’exutoire orgiaque à des frustrations déplacées, la colère de l’orchestre commençait de prendre des airs de religion avec ce crescendo (scénaristique, cette fois) qui avait été la spécialité du réalisateur longtemps auparavant. Il montre de la sorte qu’il sait tout faire sortir de terreaux divers, quoique cela fait passer Prova d’Orchestra pour une œuvre strictement destinée à son CV (qu’il n’avait plus aucun besoin d’étoffer).
Dense en métonymie (comme les musiciens sont souvent désignés par leurs instruments) & lourd de personnifications (souvent les instruments sont plus humains que leurs musiciens), il y a une figure de style dont le film est doublement pourvu : la répétition ! La loquacité de la petite œuvre n’est pas forcément bien dirigée, achevant de l’enfermer entre six cloisons pas assez poreuses pour laisser entrer le répondant nécessaire à ses piques innombrables, mais le “comique de répétition” se fera bien sentir & elle est légère malgré tout : même sa longueur (1h10) est une invitation à la prendre comme telle & c’est un atout à ne pas sous-estimer dans la filmographie de Fellini.
→ Quantième Art