Remember a le courage d'aborder un thème actuel et complexe : comment juger les anciens criminels de guerre, toujours en liberté des décennies après leurs méfaits ? Les juger et les enfermer derrière les barreaux d'un... hôpital ou faire table rase du passé et aller de l'avant ? Actuel, car la question se pose encore pour de nombre de SS vieillards exilés et coulant de jours paisibles avec le sang d'innombrables personnes sur les mains. Complexe, parce que la solution n'est pas toujours aussi simple qu'elle en a l'air. À quoi bon juger un vieillard voué à mourir dans les années à venir, à quoi bon remuer le passé, à quoi bon entreprendre une action aussi coûteuse en ressources humaines ? Et même si on s'éloigne du spectre nazi, la question pose de sérieux problèmes. En Espagne, le retour à la démocratie après la mort de Franco s'est accompagnée d'une période de transition, dans laquelle républicains et fascistes, ayant combattu auparavant lors de la Guerre Civile ont été amnistié. Plutôt que de se refaire la guerre, le gouvernement socialiste d'époque a décidé de faire table rase. Aujourd'hui, la question divise encore la société espagnole, et nombre d'habitants souhaiteraient voir les tortionnaires de leurs familles jugés et condamnés.


C'est un thème qu'on peut facilement étendre à celui de la mémoire. D'ailleurs, Remember ne s'en prive pas, jusqu'à son titre ! Le héros est sénile et perd la mémoire dès qu'il s'endort (il oublie jusqu'au décès de sa femme). Le thème de la mémoire est étroitement relié à celui cité ci-dessus. Comment se souvenir des crimes de guerre ? Quelle place leur accorder ? Comment exister avec ceux-ci ? Au Japon, c'est la politique de l'autruche. Plutôt que de faire face aux horreurs commises en Mandchourie pendant la Seconde Guerre Mondiale, et notamment à Nankin, on préfère éviter d'en parler. Résultat, les Japonais ne savent plus aujourd'hui ce qui s'est passé à cette époque. Au Portugal, une grande partie de la population ne sait pas qui a été Salazar et a même été jusqu'à l'élire plus grand Portugais de tous les temps dans une émission de télé de la chaîne RTP !!! La transmission de la mémoire (individuelle) est indispensable à la formation de l'Histoire (collective). Comme on le sait, celle-ci a une fâcheuse tendance à se répéter, et il me paraît important de faire en sorte d'éviter de répéter les erreurs du passé.


Retournons au film. Dans Remember, c'est un rescapé d'Auschwitz, Zef, sénile et diminué qui va parcourir les États-Unis et le Canada, seul avec un Glock dans sa trousse de toilettes, pour trouver la pourriture de SS qui a trucidé sa famille. Yolo quoi. Pour cela, il va aller voir tous les homonymes de son tortionnaire et chercher lequel d'entre eux mérite de mordre la poussière. Si l'on passe facilement outre la pauvre réalisation circonstancielle et les musiques sirupeuses. Les acteurs sont convaincants, et ça fait même plaisir de revoir quelques têtes (le flic de Breaking Bad en néo-nazi, c'est plutôt rigolo). Le tout est rythmé correctement, et techniquement tout est là.


Le premier hic de Remember, c'est de transformer cette affaire en vendetta personnelle. Zef, avec son ami Max, cherche à venger sa famille à tout prix. J'éviterais ici les jugements. L'Holocauste, c'est pas du gâteau. Toujours est-il qu'on dirait bien que le film a choisi son camp. Les criminels, faut leur faire sauter la cervelle. Puis, bon, c'est du cinéma, c'est pas la première histoire de vengeance à être projeté dans les salles obscures. Et en plus, Remember évite de sombrer dans le manichéisme bête et poussif.


Le véritable problème du film, réside à mon avis dans son ultime partie (spoiler alert).


Lorsque Zef trouve finalement son tortionnaire d'Auschwitz, il finit par apprendre qu'il n'était non pas un juif à Auschwitz, mais bel et bien un tortionnaire, et que le mec qu'il cherchait était en fait son collègue d'alors. En fait c'est Max, son pote de la maison de retraite qui a tout manigancé. Bref, Zef se vénère, déglingue le tortionnaire et se suicide.


C'est complètement débile.


On se fout de la gueule de l'intelligence du spectateur. Et ça, c'est vraiment quelque chose de pas cool. Non seulement aucun élément ne permet de prédire cela à l'avance (sinon que son nom en hébreu veut dire loup et qu'il aime les compositeurs de musique allemands, bref que dalle). Mais c'est surtout une odieuse manière de le prendre au dépourvu pour lui infliger une séquence émotion pathétique et crispante. C'est un twist extrêmement pauvre qui dessert le film.


C'est d'autant plus con que le message fait sens. Entretenir notre mémoire est une urgence absolue, au risque de se faire manipuler contre elle. Il est important de savoir qui l'on est, en tant qu'individu et société pour avancer dans la vie.


On passe notre temps à s'interroger sur la quête de Zef. Est-elle vertueuse, condamnable ? Quelle place pour ces vieillards ? Comment se souvenir ? Bref, tout ce que j'ai énoncé dans mon introduction. Et finalement, ce sont de grosses ficelles narratives usées qui viennent nous donner une leçon. C'est frustrant, d'autant plus que le manque d'idées de mise en scène achève de rendre Remember plutôt quelconque. Dommage.

khms
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le 24 mars 2016

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