Car c'est la première chose que l'on apprend de Rebecca : elle est morte. Noyée. Ou bien.... ?
Rebecca c'est en premier lieu une histoire d'amour : Maxime DeWinter, riche chatelain qui s'amourache une jeune fille toute simple, jolie, sans prétention et follement amoureuse de lui. Elle n'aura aucun nom pendant tout le film, car il est clair qu'elle est inférieure à tous. Il apparaît bien vite à la malheureuse que le deuil récent de Maxime ne l'a pas rendu commode, il est sujet à des sautes d'humeur soudaines. Néanmoins ils sont amoureux et tout va bien jusqu'à ce qu'ils reviennent à Manderley.
Manderley, c'est le mot qui ouvre le film : « Cette nuit, j'ai encore rêvé que je retournais à Manderley.... » C'est lui la star du film. Un château gothique au sommet d'une colline, frappé par les vents et la pluie. Très vaste, avec de multiples pièces, presque labyrinthique. Il recèle bien des secrets et a été témoins de quelques crimes. A l'image de ce château, son incarnation humaine c'est l'intendante Mrs Danvers, jouée par l'extraordinaire et très charismatique Judith Anderson. Tout comme Manderley, elle est austère, froide, et pas du tout accueillante pour la jeune mariée. Très vite cette dernière n'osera ni la contrarier ni lui contester un rôle de maîtresse de maison. Mrs Danvers, comme le château n'a vécut que pour Rebecca, la première femme de Maxime, dont l'existence rayonnait sur son entourage et a laissé des traces sur tous les personnages, qui chercheront systématiquement sur l'héroïne des ressemblances avec elle. D'ailleurs Mrs Danvers garde la chambre et le souvenir de Rebecca intacts à travers tous les objets et recoins de la demeure familiale.
Perdue à travers un monde de souvenirs auquel elle n'arrive pas à s'imposer, la narratrice ne tarde pas à perdre pieds, et c'est alors qu'elle découvre la vérité sur Rebecca, vérité finalement assez différente de celle qu'attend le spectateur.
Commence alors la deuxième partie du film, où une fois la vérité éclatée, tous devront l'affronter.
L'ambiance du film est très bien rendue, d'un flirt d'été au mariage, on est sur un registre romantique. Et puis le retour en Angleterre change tout. L'affrontement entre l'héroïne anonyme et l'intendante va subtilement s'amorcer alors. Judith Andersen, dont le regard noir parvient non sans peine à cacher la folie obsessionnelle envers son ancienne maîtresse, va réussir à imposer l'ombre de la morte à la jeune fille, stratégie dont le climax reste la formidable scène sur le balcon où en harcelant cette dernière, humiliée par elle, elle veut l'inciter à se suicider. Le château romantique du début devient une prison monstrueuse dont l'intendante est non seulement l'incarnation mais aussi la gardienne.
Si Hitchcock a réussi une transposition très fidèle du livre de Du Maurier, en gardant certains dialogues, il laisse la part belle aux décors exquis et gothiques à souhait, ainsi qu'aux acteurs, Joan Fontaine mignone à croquer en jeune ingénue, et surtout le très séduisant Laurence Olivier (récemment héro romantique des « Hauts de Hurlevent » en Heathcliff) en époux blessé et un peu coupable.
Le tour de force du vieil Alfred reste également d'avoir réussi à faire d'une morte un personne à part entière, presque vivant, finalement, toujours à travers ceux qui survivent. Soin que quelques réalisateurs seulement ont réussi à faire plus tard : je pense bien sûr à la Laura Palmer de David Lynch,,,
Bien souvent dénigré, ce film reste un des plus réussis d'Hitchcock.