Accompagné de sa petite amie, son assistante et son éditeur, le créateur de la série de comics à succès "Slasherman" se lance dans un road-trip sur les lieux des terribles meurtres ayant inspiré son œuvre. En plus du côté promotionnel du voyage, il espère ainsi trouver de nouvelles idées qui lui permettraient de conclure les aventures dessinées de son célèbre tueur...


Après s'être essayé à la réalisation par l'intermédiaire de quelques courts, d'épisodes de séries et d'un premier long-métrage (la suite de "Goon", comédie canadienne sur le hockey dont il avait déjà signé le scénario du premier opus), le comédien Jay Baruchel revient derrière la caméra dans un registre où on ne l'attendait pas forcément : l'horreur et, plus particulièrement, un de ses sous-genres les plus risqués par excellence, le slasher.


Devenu prisonnier de ses propres codes, le slasher continue surtout de survivre aujourd'hui par la longévité mercantile de ses tueurs masqués les plus connus, les hommages appuyés à la grande époque du filon et les parodies/satires qui n'ont de cesse de s'amuser de ses pires clichés. Même les plus aficionados des slashers le reconnaîtront : ces dernières années, les quelques rares propositions originales aux partis pris inventifs (très souvent métas) et ayant réussi à bousculer le format figé de ce sous-genre se comptent hélas sur les doigts d'une main.
À l'instar d'un certain mouvement du cinéma indépendant US qui s'empare de différents registres de l'horreur/épouvante comme couvertures à des sujets plus profonds, "Random Acts of Violence" va tenter de dépoussiérer la forme éculée du slasher (ici, routier) en y mêlant une réflexion sur la manière d'appréhender l'art vis-à-vis de la réalité dont il s'inspire et vice-versa.


Globalement, le sujet n'a certes rien de neuf, qui plus est dans le genre horrifique (combien de fois a-t-on vu l'histoire d'une création échappant au contrôle de son auteur pour se retourner contre lui ?) mais Jay Baruchel va vraiment impressionner par l'amplitude qu'il lui fait atteindre en le traitant à toutes les strates de son intrigue !
Ici, l'art de son héros, dessinateur de comics, prend sa source dans la réalité d'une véritable série de meurtres et un passé occulté où il joue vraisemblablement un rôle important (de fugaces flashbacks viennent rapidement nous le suggérer). Alors que l'auteur se met à fouler les lieux des événements-clés de son oeuvre, cet art va dorénavant se mettre à inspirer une nouvelle réalité sanguinaire qui va elle-même s'inscrire pour nous, spectateurs, dans une fiction reprenant tous les passages obligés d'un banal slasher routier (bande de jeunes en road-trip, arrêt dans une station-service louche, tueur masqué à la "Red is Dead", meurtres de victimes aléatoires avant de s'attaquer aux héros, final grandguinolesque avec révélation : quasiment tout y est !). À tous ses degrés de lecture, cette mise en abîme à facettes multiples prend un malin plaisir à flouter sans cesse la frontière entre la fiction et le réel où ses personnages se retrouvent les premiers captifs (par exemple, la brutalité souvent confuse des agissements du tueur semble être son seul moyen d'exister "réellement" au milieu des situations standards du slasher). Même intrinsèquement, dans les clivages opposant certains de ses protagonistes, le film poursuit un travail de réflexion morale sur l'opportunisme de s'approprier des faits réels pour les détourner en fiction. Et il y bien entendu le retour de flammes bien plus personnelle dont va être victime le héros, la principale constituante à la fois de cette histoire et de l'interprétation métaphorique de cette influence réciproque incontrôlable entre fiction et réalité que le film cherche tant à mettre en exergue.
De surcroît, l'ensemble de la proposition s'avère soutenue par de vraies qualités esthétiques (très chouette photo de Karim Hussain), une mise en scène toujours bien pensée, des meurtres très graphiques en écho à l'imagerie logique des comics pour adultes, une bande originale aux petits oignons et un casting d'acteurs -ce n'est bien sûr pas un hasard- très familier du genre : Jesse Williams ("La Cabane dans les bois"), Jordana Brewster ("Massacre à la Tronçonneuse - Le Commencement"), Niamh Wilson ("Saw 3") et Baruchel lui-même.


Cependant, malgré tout l'enthousiasme que ce deuxième long-métrage de Jay Baruchel peut susciter par son approche, il faut bien avouer que "Random Acts of Violence" n'apporte au final qu'une satisfaction partielle. Aussi intelligente soit-elle menée, la piste de réflexion sur l'art imitant la vie/la vie imitant l'art se retrouve assez vite prise au piège de ses propres limites une fois exposée (on en connaît de facto une majorité de ses contours avant qu'ils soient mis en lumière par le film) et les divers rebondissements de pur slasher sur laquelle elle se fonde ne pourront faire preuve que d'une solidité éprouvée à défaut de créer la surprise. C'est un peu tout le problème du film : même s'il conjugue le format du slasher à son discours de fond avec une adresse remarquable dans une unique toile d'araignée, il paraît lui-même en devenir le principal prisonnier sur la longueur, sans possibilité de se défaire des défauts inhérents à ces deux composantes (sa très courte durée, 1h20 générique compris, résonne d'ailleurs symboliquement comme un aveu d'impuissance à ce niveau).


Il est donc dommage que ses limites empêchent "Random Actes of Violence" de prétendre à plus, l'audace et la singularité de la proposition demeurent néanmoins suffisamment prometteuses pour que l'on continue à suivre avec curiosité l'avenir du cinéaste Jay Baruchel...

RedArrow
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le 3 août 2020

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