L’entrée dans l’univers tordu de Matsumoto Hitoshi se fait dans une relative douceur. S’il pose tout de suite les règles de son film à travers une scène d’ouverture – littéralement – frappante, il prend néanmoins le temps d’installer son personnage principal. On prendra ainsi d’abord la mesure de sa vie terne, partagée entre la pression d’un travail peu valorisant et sa solitude de parent isolé, dans laquelle la misère affective règne en maître. Une colorimétrie grisâtre souligne à la perfection la monotonie de son existence de salary man, qui sera bientôt bouleversée par l’intervention dynamique de reines successives, toutes de cuir moulant vêtues.


Ici, le portrait des pratiques de domination n’est évidemment pas à prendre au sérieux et sera simplement l’objet de gags dont l’absurdité ira croissant au fil du film. On verra donc défiler des personnages hauts en couleurs qui amèneront des situations de plus en plus loufoques, tandis que le montage se fera lui aussi cocasse, expérimentant en faisant peu de cas de l’élégance ou du réalisme. Si cette surenchère n’étonne pas de la part du réalisateur, on peut néanmoins regretter qu’elle rende R100 un peu difficile à suivre dans sa dernière partie. En effet, la comédie semble alors ne plus avoir comme préoccupation que de monter d’un cran à chaque scène, et son manque d’enjeu devient alors saillant. Néanmoins, si le résultat est un peu brouillon, il deviendra surtout un prétexte pour dérouler une toute autre dimension narrative.


En effet, le principal atout du film réside dans l’autodérision dont il sait faire preuve. R100 intercale ainsi à l’histoire de Takafumi des séquences dans lesquelles une (fausse) équipe de tournage commente avec perplexité le contenu des scènes et les caprices du réalisateur. Cette déconstruction de l’œuvre, qui n’est pas sans rappeler le travail de Quentin Dupieux, semble constituer le véritable nœud du film : elle a le double mérite d’être source d’humour et de fonctionner comme une soupape pour le spectateur dubitatif. Ainsi, en partageant avec les personnages – et donc le réalisateur – la conscience des excès du film, il devient malgré lui complice de la farce qui se déroule sous ses yeux.


C’est un tour de passe-passe habile que Matsumoto Hitoshi opère ici, et qui rend R100 plus impliquant – mais non moins étrange – que ses précédentes facéties. C’est que, face à un réalisateur qui en fait toujours trop, la tentation est grande de simplement le taxer de ridicule. Dans Symbol, il s’en préservait par le contraste entre des thèmes nanardesques et un manifeste talent de réalisation ; dans Big Man Japan c’était plutôt à travers la dérision de son personnage principal. Cette fois cependant, il est plus explicite dans sa démarche, si bien que tout en restant parfaitement décomplexé, il fera peut-être plus facilement tomber les éventuelles réticences.


Dans l’ensemble, si la thématique de R100 interpelle, on trouvera derrière une comédie dans la pure veine Matsumoto, qui reste trop absurde pour être proprement sulfureuse. Si le métrage manque par moments de consistance, il est perpétuellement rattrapé par son ironie, qui donne la réplique à un burlesque déchaîné. Le réalisateur semble expérimenter à chaque film une nouvelle manière d’aller plus loin sans se perdre, et une fois de plus il réussit à maintenir jusqu’au bout cet équilibre précaire. Le tout en frappant toujours là où on ne l’attend pas.


[Rédigé pour EastAsia.fr]

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le 14 sept. 2017

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Lila Gaius

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