Que Dieu te protège
Que Dieu te protège

Documentaire de Cléo Cohen (2021)

Pas une critique, un article de Télérama et de Tënk

Pas une critique, un article de Télérama et de Tënk


Le doc : https://www.france.tv/documentaires/3614179-que-dieu-te-protege.html

disponible jusqu'au 29.12.22


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https://www.telerama.fr/ecrans/que-dieu-te-protege-sur-france-3-chacun-de-mes-grands-parents-a-un-rapport-singulier-a-son-pays-a-son-arabite-et-a-son-judaisme-7011616.php

“Que Dieu te protège” sur France 3 : “Chacun de mes grands-parents a un rapport singulier à son pays, à son arabité et à son judaïsme”




Emmanuelle Skyvington Publié le 03/08/22


Dans son documentaire à découvrir sur France 3, Cléo Cohen interroge ses grands-parents, juifs d’origines algérienne et tunisienne exilés en France dans les années 1960, sur le sens des identités a priori contradictoires qu’ils lui ont léguées. Entretien.


Quel Dieu ? Quel pays ? Petite-fille de Juifs d’origine tunisienne et algérienne, Cléo Cohen ne comprend pas dans quel contexte sa famille a dû s’exiler en France dans les années 1960. Ni pourquoi il faudrait trancher entre Juif et Arabe, la France et l’Afrique du Nord. Dans ce film hommage à ses quatre grands-parents, elle les questionne sur leur vie « là-bas », convoque le passé et l’histoire de la décolonisation pour tenter de dénouer les fils d’une histoire familiale intime. Un regard croisé et un dialogue intergénérationnel, d’où rejaillissent blessures et traumatismes, tout en ouvrant la voie vers l’avenir.


D’où vient cette idée de filmer vos quatre grands-parents ?

Face au récit de mes grands-parents auquel je ne comprenais pas grand-chose, j’ai commencé à lire beaucoup, de la sociologie, de l’histoire… Leurs souvenirs étaient imprécis, réécrits, réinventés… J’avais du mal à raccorder les différentes versions.


En formation à l’école documentaire de Lussas, j’ai écrit le projet de Que Dieu te protège, sans savoir quelle forme il prendrait. Ma grand-mère Denise en est le personnage principal, celle qui incarne le mieux les contradictions qu’a produites leur histoire. J’ai également eu envie de filmer mes autres grands-parents : chacun d’entre eux a un rapport très singulier à son pays, à son arabité, au judaïsme et à la transmission. Tous racontent à leur façon cette catégorie des « Juifs d’Afrique du Nord » qui est tout sauf homogène, contrairement à la façon caricaturale dont ils sont représentés dans certaines fictions.


Quel dispositif de tournage avez-vous choisi ?

C’était clair pour moi : j’allais leur rendre visite. Je rêvais aussi d’un voyage en Tunisie avec ma grand-mère Denise. Finalement, je l’ai fait seule. Leur présence physique, leur corps, leur visage incarnent une partie de leur histoire, surtout chez mes grands-pères, assez silencieux, et très malade comme Richard au moment où je l’ai filmé. Avec lui, j’étais dans une course contre la montre car je savais sa disparition proche.

“Leurs anecdotes, histoires amoureuses, récits drolatiques se passent à Tunis ou à Oran. Mais jamais à Paris ou à Marseille, comme si à partir du moment où ils sont arrivés en France, il n’y avait plus rien à raconter.”


Les filmer n’est pas une mince affaire : Flavie vous tourne le dos, taille ses hortensias… Maurice, très diminué, a du mal à parler. Quant à Denise, elle oscille entre brusquerie et surprotection, anxiété et excitation…

Je savais que cela allait être compliqué, mais c’est précisément leur résistance qui m’intéressait. Mes grands-mères ne comprenaient pas ce que je venais chercher, bien qu’elles soient habituées à ce que je les titille inlassablement sur leur enfance et leur jeunesse. Je voulais restituer, non pas un récit factuel et chronologique de quatre personnes âgées, mais créer un dialogue avec elles, autour d’une quête dont j’étais le moteur.


Dans leur résistance, il y a une dimension burlesque, proche de la comédie, à exploiter. Ils avaient entre 25 et 30 ans quand ils ont quitté la Tunisie et l’Algérie, et leurs anecdotes, histoires amoureuses, récits drolatiques se passent à Tunis ou à Oran. Mais jamais à Paris ou à Marseille, comme si à partir du moment où ils sont arrivés en France, il n’y avait plus rien à raconter.


Parlons d’abord de votre grand-mère Flavie, née en Algérie, qui doit quitter son pays le jour de son mariage…

Elle incarne la figure du traumatisme de la guerre d’Algérie. Toute sa vie, elle m’a répété, à des mois d’écart, mot pour mot, le même récit. Pourtant, il restait de nombreuses zones d’ombre. Elle n’a jamais digéré cet arrachement, ni le fait de partir du jour au lendemain sans faire ses adieux. Face à mes questions, elle reste dans la maîtrise pour ne pas craquer mais manifeste une sorte d’agacement. Même si je sais qu’elle ressent aussi de la fierté que je me sois penchée sur son histoire.


Denise, votre autre grand-mère, clame, elle, ne plus vouloir entendre parler de sa Tunisie natale. Pourtant, elle se révèle captivée par votre voyage…

Denise était très imprégnée de la culture tunisienne, de la langue et de la culture arabes. Elle a assumé la transmission de cette identité en me parlant arabe et en me racontant plein d’histoires romantiques sur Tunis. Elle a une très forte nostalgie de la Tunisie tout en présentant un fort rejet.


L’idée était de montrer son évolution au cours du film. Quand je suis allée à Tunis, à ma grande surprise, elle m’appelait quatre fois par jour via FaceTime. Elle était surexcitée, avait une mémoire incroyable des rues et des quartiers à travers lesquels elle me guidait à distance. Durant les mois où je suis restée à Tunis, j’ai enregistré ses appels impulsifs, car c’était formidable de la voir aussi émue et excitée de me savoir chez elle. Cela a créé une grande complicité entre nous.

“Je ne suis pas encore au bout de ma quête : essayer de comprendre et de me réapproprier l’histoire familiale que potentiellement j’ai envie de transmettre à mon tour.”


Quel rôle a joué l’écrivain franco-tunisien Albert Memmi disparu en 2020 dont vous lisez les livres (Portrait du colonisé ; Portrait du colonisateur) ?

Je lisais Albert Memmi durant le tournage. Son œuvre, très éclairante, m’a accompagnée. Il s’est battu pour l’indépendance de son pays et reste une figure symbolique forte. Il témoigne de ce que cette période a produit comme ambivalences, contradictions, souffrances et déchirements. Sa présence, en pointillé dans le film, fait écho aux récits d’exil et de traumatisme.


Que vous a apporté la réalisation de Que Dieu te protège ?

Ce film a changé beaucoup de choses. Je ne suis pas encore au bout de ma quête : essayer de comprendre et de me réapproprier l’histoire familiale que potentiellement j’ai envie de transmettre à mon tour. Mais j’ai réinvesti des lieux, pour l’instant surtout en Tunisie parce que c’est plus compliqué en Algérie. J’ai rencontré beaucoup de gens. Cela contribue à m’apaiser et à combler ce « trou » dans mon histoire.


Certaines paroles de mes grands-mères reposaient sur des idées inaudibles, biaisées. Par exemple, cette injonction à « ne pas se mélanger avec les Arabes » que Denise formule à un moment : cela m’a toujours semblé aberrant. Ces catégories n’ont pas de sens par rapport à mon expérience d’une culture commune. Denise me parlait ainsi, tout en passant des heures à parler arabe avec sa coiffeuse. Elle brûlait de l’encens pour contrer le mauvais œil… C’était paradoxal. La caméra et l’idée du film m’ont aidée à provoquer des discussions et à reconvoquer cette histoire.


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https://www.on-tenk.com/fr/documentaires/famille/que-dieu-te-protege

Résumé


Je me demande si, entre française, juive, et arabe, il faut choisir. Je rends visite à chacun de mes quatre grands-parents, juifs d’origine algérienne et tunisienne exilés en France dans les années 1960, pour interroger avec eux le sens de ces appartenances apparemment contradictoires qu’ils m’ont léguées. Mon trouble, hélas, est peu communicatif.



L'avis de Tënk


Pour son premier long métrage documentaire, Cléo Cohen, personnage central de son propre film, se lance à la poursuite de l’Histoire (la grande)… et de sa propre histoire. Dans un cadre familial aimant, elle incarne avec justesse et une douce impertinence, la quête de la réparation et de la compréhension des filiations. L’histoire n’est pas finie, elle saute peut-être une génération, pour laisser le temps infuser les chairs et les mémoires. Le geste semble évident, couler de source, il fait écho à d’autres gestes de ces petits enfants de la décolonisation qui vivent l’urgence de la récolte des voix de celles et ceux qui peuvent à tout moment disparaître. “Tu ne penses pas que tu as pu me transmettre des choses de toi, sans m’en parler ?”, demande la réalisatrice à son grand-père. Une question rhétorique. La réponse semble positive, elle justifie l’appétit d’en savoir plus.


Mohamed Rochdi Sifaoui

Directeur général de Tënk


Sur Cléo Cohen :


Cléo Cohen est née en 1993 et suivi des études de littérature française à l’École Normale Supérieure de la rue d'Ulm et à la Sorbonne. En échange à New-York, elle intègre l'atelier de réalisation documentaire de la Film School de Columbia University. De retour en France, elle est élève à l'École documentaire de Lussas où elle réalise son premier film documentaire, "Avant le départ" (26 minutes), sélectionné dans plusieurs festivals en France et à l'étranger. Elle est l'autrice de deux séries radiophoniques documentaires produites par France Culture, "Dans le jus d'Orange" (saison 1, 58 minutes), et "Une saison en campagne dans le jus d'Orange" (saison 2, 58 minutes). Elle a achevé en 2021 la réalisation de son premier long-métrage, "Que Dieu te protège" et travaille actuellement pour La Série Documentaire sur les identités juives arabes.




Jean-2022
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le 8 août 2022

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