Chapitre 1_ A la mémoire de Louis Brès...

Raymond Depardon est un documentaliste précieux: sans affèterie inutile, il pose sa caméra et filme la vie. Tout simplement!

Au travers de ses divers clichés photographiques, il a pu rencontrer quelques agriculteurs tout au long de ses pérégrinations imagières.
Venant lui-même du monde rural, il mûrit pendant longtemps le projet de filmer la vie agricole.
C'est ainsi qu'il se décida à franchir le pas en 1999 et de promener son œil/caméra (accompagné par sa femme **Claudine** - preneuse de son et productrice - chez quelques uns d'entre eux.
Il nous invite à rencontrer:
**Marcelle Brès** (85 ans) *Hameau de L'Hermet*  (commune de *Pont de Montvert* en *Lozère*), veuve et retraitée, qui vient juste de perdre son fils **Roger** (mort à 60 ans, des suites de la maladie de Charcot)). 
Étant seule, elle cherche un repreneur pour son exploitation bovine (vaches et génisses).

Jean-François Pantel (22 ans) et Nathalie Deleuze (23 ans) sortent à peine du lycée agricole de Marvejols et sont donc intéressés pour reprendre l'exploitation de Marcelle.
Mais les consignes "étatiques" imposent de prendre des vaches de race "Aubrac", moyennant une certaine prime. ..
En résumé: "Prends de l'Aubrac ou "débrouille-toi"...
"Quand ils veulent (Ministère de l'Agriculture) quelque chose, ils aident. Quand ils veulent pas, ils aident pas...", lance une Marcelle bien au fait des "manœuvres incitatives" gouvernementales.
Tout repose sur cette simple vérité...
Jean-François dira quelques plans plus tard, qu'il va suivre les consignes ministérielles, tandis que Marcelle fixera la caméra silencieusement, d'un air entendu.

Marcel (80 ans) et Raymond (75 ans) Privat (ancien hameau Le Villaret -Lozère) et leurs neveux et nièce Alain (44 ans) et Monique Rouvière (40 ans).
Marcel et ses brebis: sortant son troupeau dès que le temps le permet, nous assistons en plan fixe (la marque de fabrique de Raymond Depardon) à un débat sur la qualité de la viande d'agneau entre notre Marcel et le boucher de Pont de Montvert.
Celui-ci félicite (très maladroitement, voire indirectement) le passage aux grains comme nourriture première des bêtes. Et se répète, encore et encore, sous l'’œil pétillant de l'ami Marcel...
Raymond s'occupe "amoureusement" de ses vaches, tandis qu'Alain est l'exploitant officiel (bien que s'occupant plus de la manutention qu'autre chose) et Monique d'être "multifonction"...

 **Paul Argaud** (55 ans) ferme de *Laval* sur la commune de *Saint-Jaur* (*Haute-Loire*). 

Agriculteur renfermé (voire mutique) connu de Depardon depuis 10 ans, c'est la première fois que Paul laisse pénétrer son ami dans sa cuisine...
Peu prolixe, Paul ne répondra que par de très courtes phrases sibyllines ou quelques monosyllabes, aux questions de Raymond Depardon...
La rudesse paysanne dans toute sa splendeur, mais Paul dégage un quelque chose de tendre, enfoui sous son apparence "brute"...

**Robert** et **Paulette Maneval**, habitant *La Varenne* (commune du *Mazet*, *Haute-Loire*). 
Agriculteur possédant un important cheptel bovin, il discute avec un marchand de bestiaux, lorsque **Depardon** et sa femme **Claudine** se pointent. Ce sera l'occasion d'un échange verbal haut en couleur, entre vendeur et acquéreur.
**Robert** - sachant la caméra pointée sur lu i- défendra son *beefsteak* avec une théâtralité très marquée, dissimulant à peine le fait d'être excédé par le discours "fallacieux" de son interlocuteur.
Il lâchera d'ailleurs sur le ton de la boutade :"Les marchand de bestiaux, c'est un peu des voleurs!", mais son regard contredira son apparente bonhommie...
En effet, son interlocuteur semble baisser artificiellement les prix d'achats, alors que les cours tarifaires sont bien au-dessus de ceux annoncés par l'acheteur...
**Robert** et **Marinette Desfond**, ferme du *Teil* (commune de *Rochepaule*, *Ardèche*).

Ici aussi, nous avons droit à un échange entre Robert (le vendeur) et un intermédiaire.
Cette fois-ci, la discussion entre ces deux personnes têtues ("non, je te le vendrai pas à ce prix là, alors rajoute 200 Francs" "non...écoute, je te fais ce chèque...tu le prends, oui ou non?") tournera en rond pendant un bon moment, aucun des deux ne voulant céder.

Enfin, **Louis Brès** (85 ans) , agriculteur à la retraite (vache et génisses) et célibataire, vit à *Grizac* (commune de *Pont de Montvert* en *Lozère*, comme la famille **Privat/Rouvière**). 
Du fait de sa santé déclinante (il vient de subir une opération oculaire le mois précédent) et de sa solitude (il ne lui reste que 2 cousins germains, donc autant dire plus de famille), **Monique Rouvière** (sœur d'**Alain** et nièce de **Marcel** et **Raymond Privat**) lui vient en aide. 
Elle s'inquiète de le savoir livré à lui-même...
**Louis** reçoit aussi la visite d'un vétérinaire, venu faire un traitement anti-parasitaires obligatoire aux vaches. Tous deux deviseront tranquillement sur la qualité du vin de **Louis** ("*c'est un vin propre*", dira t'il en sous-entendant que celui-ci n'est pas trafiqué) ou la vente éventuelle d'un veau...
Malheureusement, **Louis** va se retrouver hospitalisé quelque temps plus tard et il ne reviendra jamais dans sa ferme...
Ces portraits empreints de tendresse nous présentant une galerie de personnages extraordinaires et magnifiques, n'occulte pas l'amertume d'un monde paysan à l'agonie. 
C'est avec une réalité quotidienne crûe -mêlant travail dur et souvenirs s'étiolant dans les mémoires- que **Depardon** fixe pour l'éternité, ce passé que l'on ne saurait oublier...